Ils ne sont pas bien nombreux les écrivains à savoir, au détour d’une phrase, qu’on attend pas forcément, nous donner des frissons, provoquer un élan lacrymales et le sentiment de lire quelque chose d’essentiel, quelque chose qui nous parle tellement qu’on a l’impression qu’ils font partie de nous, de notre famille peut-être, de notre cercle amical. Sorj Chalandon est évidemment de ceux-là. Il le prouve à chaque nouvel ouvrage. Bien sûr, ses thèmes, ses centres d’intérêts sont proches des miens mais il sait écrire LA phrase qui dit tout, au bon moment. Celle qui nous fait lâcher le bouquin tellement elle nous marque.
L’enragé donc, en cette rentrée littéraire 2023. Quel joli titre. Il donne le ton en quelque sorte. Chalandon parle-t-il de lui à travers ce personnage « enragé » qu’il nous offre ? Chalandon l’enragé engagé ? Sûrement.
Belle-île-en-mer, le tourisme etc… Ça n’a pas toujours été le cas. Cette île a abrité une colonie pénitentiaire, pour enfants et adolescents.
« La Colonie pénitentiaire a été baptisée Maison d’éducation surveillée, et les gardiens, des moniteurs. Surveillant, ça faisait trop prison. Moniteur, ça chante la colonie de vacances. »
─ Sorj Chalandon, « L’enragé »
Certains y sont restés enfermés jusqu’à leur majorité. Pour des petits larcins sans importance (la concomitance avec l’enferment actuel de certains jeunes pour avoir volé qui des baskets, qui des vestes, lors d’émeutes fait mal et interroge). Chalandon s’empare du sujet et décrit avec force dans la première partie de son roman, la violence horrible subie par ces enfants- adolescents. C’est éprouvant. Bouleversant. Mais on a encore rien lu !
« Je n’ai pas le droit aux sentiments. Les sentiments c’est un océan, tu t’y noies. pour survivre ici, il faut être en granit. Pas une plainte, pas une larme, pas un cri et aucun regret. Même lorsque tu as peur, même lorsque tu as faim, même lorsque tuas froid, même au seuil de la nuit cellulaire, lorsque l’obscurité dessine le souvenir de ta mère dans un recoin.»
─ Sorj Chalandon, « L’enragé »
La deuxième partie du roman traite d’une révolte et d’une évasion de tous les détenus qui, un soir, ne se laissent plus faire et prennent leur destin en mains. Sur une île prendre son destin en mains ne veut pas dire grand chose ainsi que le pense Jules Bonneau alias « La teigne », le héros choisi par Chalandon pour faire vivre son livre. L’océan aurait tôt fait de rejeter des cadavres sur le rivage. Tous les évadés seront repris et sévèrement châtiés. Jules est parti avec son copain Camille et celui-ci lui propose une solution qui se retournera contre lui malheureusement. Seul Jules ne sera pas repris. Pourquoi ? Comment ? Une main charitable lui sera tendue. Et ce sera tout le récit du la deuxième formidable partie du livre. L’adaptation de Jules, sa renaissance, les soucis rencontrés malgré tout.
«Il m’a pris dans ses bras. Longtemps.
– Tu sais pourquoi je t’ai tendu la main, le premier jour ?
Non je ne savais pas.
– Pour que tu desserres le poing.»
– Sorj Chalandon, « L’enragé »
Sorj Chalandon est tout en retenu dans cette partie. Après nous avoir donné le pire de l’homme, il nous offre le meilleur.