Rattrapé par sa dépression qui ne le lâche pas depuis des années, Mark Linkous, le leader de Sparklehorse se donne la mort le 06 mars 2010, plongeant ses fans dans une profonde tristesse, nous laissant pour seule compagnie, une discographie unique et merveilleuse, mais qui demandait encore à s’agrandir, tant le bonhomme avait un immense talent.
Sortant de sa collaboration avec Danger Mouse et David Lynch pour le merveilleux Dark Night Of The Soul, Sparklehorse avait entrepris de travailler sur un cinquième album en compagnie de Steve Albini; les chansons étaient déjà là, enregistrées du côté de Chicago avec l’ex-leader de Big Black ou bien en phase de mixage sur sa console Flickinger de 1968 dans son studio Static King.
Nous ne pensions jamais entendre le fruit de ses sessions et ce fut donc une surprise totale quand Bird Machine, le cinquième album posthume, fut annoncé pour une sortie en ce mois de septembre, alors que Mark aurait du fêter son 61ème anniversaire.
On peut toujours se méfier de ce genre de projet, souvent mis en route à des fins uniquement mercantiles, se contentant d’empiler quelques bouts de chansons inachevées. Ici, rien de tel, Bird Machine voit en effet le jour grâce au travail méticuleux de Matt Linkous, son frère, et de Melissa Moore, sa belle sœur, eux même musiciens au sein de The Rabbit et ayant collaboré à Sparklehorse, et avec l’appui de Bryan Hoffa, spécialiste de la préservation audio au National Audio-Visual Conservation Center de la Bibliothèque du Congrès, pour trier dans l’immense production de Mark Linkous.
Si Bird Machine était d’ailleurs quasiment finalisé, Matt en compagnie du producteur Alan Weatherhead, de Joel Hamilton, qui a mixé l’album, et Greg Calbi, qui a masterisé la version finale et ayant déjà travaillé avec Sparklehorse, ont du apporter quelques compléments à certains morceaux pour assurer la cohérence du projet, et grâce aux nombreuses notes laissées par son ultra-perfectionniste de frère, faisant ainsi appel au batteur et pianiste Steven Nistor.
Nous nous doutions lorsque l’épatant et hargneux It Will Never Stop, le morceau ouvrant le disque, fut dévoilé fin 2022 que ce Bird Machine serait un moment particulier à la fois émouvant et enthousiasmant. L’écoute de ces 14 chansons inédites, dont une superbe reprise du Listening To The Higsons de Robyn Hitchcock nous laisse à penser que c’est l’album tel que Mark Linkous l’avait imaginé, retrouvant à la fois la beauté dépouillée de Vivadixiesubmarinetransmisionplot et le sombre désespoir de Good Morning Spider. On ne l’aurait jamais imaginé, on se pince même pour le croire, une boite de mouchoirs à portée de mains tant son écoute se révèle aussi belle que douloureuse, mais Bird Machine a toute sa place auprès du chef d’œuvre It’s A Wonderful Life.
Il suffit de se laisser happer par les merveilleux Kind Ghosts et Evening Star Recharger, pour se replonger avec nostalgie et tristesse à la fin des années 90, quand Eels, Elliott Smith ou Grandaddy étaient nos nouveaux héros américains, dans le sillage de ce jeune homme à la voix si douce et émouvante et aux chansons si tristes. Jason Lyttle fait d’ailleurs une apparition sur The Scull Of Lucia, immense ballade, dont Sparklehorse avait le secret, comme un ange redescendu sur terre, ça pique les yeux, ça remue les tripes, c’est beau tout simplement.
Et des belles chansons, Bird Machine en regorge, le mélancolique et poignant O Child, Falling Down, voix lumineuse et sombres paroles, l’envoutant Chaos Of The Universe, le tout dans une belle cohérence malgré les variations de style mais auxquelles ses œuvres précédentes nous avaient habitués, entre chamber pop et slacker rock.
C’est ainsi que Sparklehorse envoie tout bouler sur I Fucked It Up pour ensuite se révéler plus classique sur les magnifiques Daddy’s Gone ou Everybody’s Gone To Sleep, annonciatrices peut-être d’un départ définitif auquel on tentera de résister mais en vain et jusqu’au bout, Bird Machine se concluant par un Stay qui nous laisse sans voix.
Disque magnifique, émouvant bien sur, on n’écoute pas Bird Machine comme n’importe quel disque, mais le talent immense de Sparklehorse transcende la tristesse et est tellement intemporel qu’il peut être considéré comme un des plus beaux disques sortis cette année. On saluera le remarquable travail de production de l’équipe autour de Matt Linkous, entre exigence, respect et artisanat et on se réjouit d’entendre cette voix magnifique, écouter ces belles paroles, celles de l’inoubliable Mark Linkous…
Anti Records – 08 septembre 2023