[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]T[/mks_dropcap]arantino, je le découvre ado avec Réservoir Dogs (1992) et je me prends une grosse claque ! Bam ! C’était résolument moderne dans le ton direct et malin, inscrit dans mon époque, alors que je sortais des films plus datés des années 70 ou 80 du cinéma de la précédente génération.
[mks_pullquote align= »left » width= »250″ size= »20″ bg_color= »#000000″ txt_color= »#ffffff »]« Son entrée dans le cinéma c’est un peu comme une entrée dans un saloon de western, tout le monde se tourne vers le nouvel arrivant, le silence se fait, on attend la suite ! »[/mks_pullquote]
Tarantino c’était un jeune comme nous déjà ! Ça changeait tout, il était au diapason avec nos attentes, c’est un film en colère si on peut dire. Il réinventait le genre à commencer par le rythme et la montée en tension permanente qui nous collait à notre siège.
Huis clos violent sadique inventif et audacieux à l’humour acide, et une pléthore de bons acteurs comme Harvey Keitel, Tim Roth, Michael Madsen, Steve Buscemi. Son entrée dans le cinéma c’est un peu comme une entrée dans un saloon de western, tout le monde se tourne vers le nouvel arrivant, le silence se fait, on attend la suite !
J’apprends dans la foulée que pour réaliser son premier film, Tarantino avait vendu deux scénarios qui seront adaptés très vite et que je cours voir bien-sûr : True Romance de Tony Scott (1993) et surtout le cultissime Tueurs Nés d’Oliver Stone (1994) qui fait couler beaucoup d’encre à l’époque sur sa violence, mais absolument génial dans sa critique du traitement de l’information dans les médias, bien avant l’avènement de la télé-réalité.
Le jeune Quentin travaillait dans un vidéo club dans la banlieue de Los Angeles où il s’était lié d’amitié avec Roger Avary qui scénarise des passages de Reservoir Dogs et une grande partie de Pulp Fiction. (Je travaillais dans un vidéo club, je voulais faire du cinéma, comment ne pas s’identifier?)
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L'[/mks_dropcap]année 1994 sera d’ailleurs une grande année pour tous les deux, Tarantino devient une star internationale à Cannes avec la Palme d’Or pour Pulp Fiction (et moi je me prends encore une de mes plus grosses claques au cinéma). John Travolta revient d’entre les morts, Uma Thurman est magique et Samuel L. Jackson devient culte avec son personnage de Jules le philosophe tueur à gages. J’aime tout dans Pulp Fiction qui est pour moi un chef d’oeuvre. Le montage d’une audace folle destruture le récit et juxtapose des scènes d’une violence inouïe avec d’autres plus décalées voire très drôles (la blague racontée par Uma Thurman après la séquence choc de l’overdose, et surtout la partie de danse, morceau d’anthologie maintes fois cité depuis).
Roger Avary lui, sort Killing Zoe, un film de braquage violent avec Julie Delpy et Jean-Hugues Anglade et il y a bien un territoire commun entre les deux jeunes prodiges.
Tarantino fait ensuite l’acteur dans Desperado (1995) puis Une nuit en enfer (1996) – à nouveau un film culte – de son ami Robert Rodriguez (autant vous dire qu’à partir de là je me suis mis aussi à suivre les projets de Rodriguez).
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]E[/mks_dropcap]n 1997, il réalise son troisième film, Jackie Brown, et remet sur le devant de la scène Pam Grier une star des années 70. Le film est bon, maîtrisé et plus sobre, Tarantino atteint là une maturité bienvenue, même si l’accueil se fait plus mitigé auprès du public.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]2002[/mks_dropcap]: Kill Bill sort en deux volumes en France. Succès. Pour ma part même si je ne trouve rien à redire au film dans sa mise en scène j’avoue que l’histoire de vengeance au cinéma d’un point de vue purement dramatique, ne m’intéresse que moyennement. Je suis un peu resté sur un sentiment de manque, peut-être que Tarantino change de ton avec cette histoire tragique, le film est dans ce qu’il dit d’une violence continue, sans ses échappées salutaires qu’il pouvait insuffler dans Pulp Fiction. Malgré tout, on comprend bien vite que ce qui intéresse le cinéaste c’est avant tout le divertissement à l’américaine comme lui-même consomme les films. Il ne faut justement peut-être pas trop prendre tout cela trop au sérieux non plus. Et il n’en demeure pas moins que les scènes d’action sont d’une chorégraphie époustouflante, tout est parfaitement orchestré, la séquence d’animation une idée géniale de mise en scène, on sent une liberté totale chez lui toujours aussi jouissive, et la fin, inattendue, est vraiment une réussite.
Taratino retrouve Rodriguez en 2005 sur le tournage de Sin City pour une scène qu’il réalise, et en 2007 les deux hommes collaborent enfin sur un projet commun, Grindhouse, sorti en un seul programme aux Etats-Unis, avec de fausses bandes annonces entre les deux films (comme un véritable film « Grindhouse » de l’époque). En France les films sortent séparément, Boulevard de la Mort pour Tarantino duquel j’étais sorti mitigé car trop bavard, mais que j’avais davantage aimé en le revoyant en DVD, et Planète Terreur pour Rodriguez que j’adore. Culte. Bim !
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]E[/mks_dropcap]n 2009 Tarantino revient avec un film plus plus sérieux dans sa démarche, Inglourious Basterds, qui dans un premier mouvement m’avait un peu déçu, et commençait à marquer la fin de ce que j’aimais d’une certaine façon chez lui : l’alternance entre la violence et l’humour qui vient rétro-éclairer ce ton sec et brutal. Je ne peux dire totalement du mal de lui, ses films sont indéniablement du cinéma, et cet homme m’a apporté trop de moments de bonheur, mais je suis plus réservé sur ce film. Le sujet m’avait rebuté, arrivant à un stade de cinéphilie où je saturais de voir des films sur la Seconde Guerre Mondiale. Pourtant, je trouve le début très réussi, tout en tension, on entre dans le film instantanément, mais l’ensemble ne me convainc pas et la partie française dans la seconde moitié du film ne marche pas du tout. Le casting est inégal et lorgne trop du côté de Soderbergh, on se croirait presque parfois dans Ocean’s Eleven, trop dans l’air du temps alors que Tarantino nous avait plutôt surpris sur les précédents films. Je me souviens tout de même que j’avais été moins sévère d’ailleurs en le revoyant plus tard.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]M[/mks_dropcap]ais le génie n’a pas dit son dernier mot, en 2012 il revient avec Django Unchained, et là j’avoue m’être de nouveau pris une claque, je le verrai deux fois au cinéma, c’est un très grand film, plus mature, avec un ton plus engagé et Tarantino pulvérise le sujet pour notre plus grand plaisir. Jamie Foxx est magistral, Christopher Waltz et Leonardo Di Caprio parfaits. Et surtout Samuel L. Jackson que je n’ai reconnu qu’en cours de film tellement il est méconnaissable en vieux majordome. On retrouve toute la panoplie tarantinesque : violence, sadisme, humiliation, et même son côté romantique. L’histoire d’amour absolu et pur au milieu de cette haine qui se termine déferlement de violence nous tient de bout en bout. Du grand cinéma.
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[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]U[/mks_dropcap]n film arrive toujours après un autre dans une filmographie personnelle, c’est pour ça que je ne pouvais pas passer à côté de ce petit résumé pour vous expliquer la relation que j’entretiens avec le cinéma de Tarantino. Il est pour moi un maître et je n’ai forcément pas le même regard qu’un néophyte qui peut-être, découvrira son cinéma avec ce dernier film : Les Huit Salopards.
L’histoire :
«Quelques années après la Guerre de Sécession, le chasseur de prime John Ruth, dit Le Bourreau, fait route vers Red Rock, où il conduit sa prisonnière Daisy Domergue se faire pendre. Sur leur route, ils rencontrent le Major Marquis Warren, un ancien soldat lui aussi devenu chasseur de primes, et Chris Mannix, le nouveau shérif de Red Rock. Surpris par le blizzard, ils trouvent refuge dans une auberge au milieu des montagnes, où ils sont accueillis par quatre personnages énigmatiques : le confédéré, le mexicain, le cowboy et le court-sur-pattes. Alors que la tempête s’abat au-dessus du massif, l’auberge va abriter une série de tromperies et de trahisons. L’un de ces huit salopards n’est pas celui qu’il prétend être ; il y a fort à parier que tout le monde ne sortira pas vivant de l’auberge de Minnie…»
D’un point de vue formel et dans l’espace-temps choisi, nous sommes dans la continuité de Django. Si le postulat de départ est plutôt ténu, je fais toujours confiance à Tarantino pour s’approprier quelque chose d’a-priori classique. Mais de fait, Tarantino est devenu classique.
Dans la scène de rencontre entre John Ruth (Kurt Russel) et le Major Marquis Warren (Samuel L. Jackson) on ne retrouve pas la tension du début de Django qui commence presque de la même façon. Puis une fois tous ses personnages réunis dans l’auberge, on a l’impression qu’il ne sait pas quoi en faire. La tension souhaitée n’est pas au rendez-vous, même s’il y a quelques dialogues savoureux, il ne sont pas à la hauteur des joutes verbales de Pulp Fiction.
Le film est en deux parties (j’ai préféré la première) et quand la seconde commence après 12 mn d’entracte, pourquoi revenir sur un flash-back dont on sait déjà ce qu’il contient ? Pourquoi avoir fait installer une corde des toilettes dehors à l’auberge (vu qu’il y a une tempête de neige) et ne rien faire par la suite de ce potentiel dramatique ? Il y a aussi quelques petits problèmes de crédibilité dans certains détails que vous verrez (ou pas, je ne vais pas vous les spoiler).
[mks_pullquote align= »left » width= »250″ size= »20″ bg_color= »#000000″ txt_color= »#ffffff »]Tarantino enterre le western en lui réglant son compte.[/mks_pullquote]
Mais chez Tarantino une fois tous ses pions subtilement disposés l’explosion tant attendue est salvatrice, et l’on guette avec jubilation de quel côté ça va tirer en premier. Le personnage de Samuel L. Jackson n’est pas dupe sur ce qu’il se passe dans l’auberge et pourtant il laisse la situation dégénérer, comme si l’on était dans une tragédie grecque dont on ne pourrait pas changer la fin. La question n’est pas de savoir d’ailleurs sous quel masque se dissimule le monstre, mais plutôt qui d’entre tous peut encore être innocent. La fin y répondra de façon magistrale, scellant une union contre nature à l’image d’une Amérique où l’imposture et la paranoïa finissent de transformer les héros fen cas pathologiques de brutes sanguinaires et abruties.
Il y a presque quelque chose de nihiliste dans ce film, peut-être était-ce la volonté de Tarantino d’enterrer ainsi d’une certaine façon le western en lui réglant son compte, et aussi de refermer la boucle commencée avec Réservoir Dogs, les films étant en fait, très proches.
Les Huit Salopards reste un très bon film, chaque plan est un travail d’orfèvre, dans les cadres, la lumière, les décors, le sens du rythme, la musique d’Ennio Morricone (Tarantino devait être comme un gosse quand le compositeur lui a dit oui !), tout cela est plutôt réussi ce qui est loin d’être le cas de nombreux films donc autant ne pas bouder son plaisir même s’il est relatif ! Je disais classique tout à l’heure, et que ce soit dans l’utilisation du 70 mm Panavision et de la musique d’Ennio Morricone, Tarantino s’inscrit dans cette volonté de sortie « d’un bon vieux western ».
Enfin le film vaut d’être vu pour ses acteurs, Tarantino en retrouve plusieurs qu’il a déjà dirigés : Samuel L. Jackson (Pulp Fiction, Django Unchained, Jackie Brown), Michael Madsen (Reservoir Dogs, Kill Bill), Tim Roth (Pulp Fiction, Reservoir Dogs), Kurt Russel (Boulevard de la Mort), Walton Goggins (Django Unchained), Bruce Dern (Django Unchained). Parmi les petits nouveaux, il y a Demian Bichir qui avait joué Fidel Castro dans le Che de Soderbergh, que l’on a aperçu aussi dans Machete Kills de Rodriguez, et surtout qui a raflé un oscar en 2012 pour sa prestation dans A Better Life de Chris Weitz.
Et surtout c’est le grand retour de Jennifer Jason Leigh ! En 35 ans de carrière elle avait eu ses heures de gloire avec JF partagerait appartement (1991) de Barbet Schroder, Shorts Cuts (1993) de Robert Altman, Le grand saut (1994) des Frères Coen, Existenz (1999) de David Cronenberg, ou encore le culte mais méconnu The machinist (2004) de Brad Anderson. Si on ne la voyait plus trop depuis dix ans, j’étais très content de la retrouver, merci à Tarantino de l’avoir choisie.
Au final, Les Huit Salopards est déjà un classique, inégal et avec quelques longueurs, mais qui mérite tout de même d’aller le voir sur grand écran.
Photo bandeau : BÉATRICE DE GÉA