Le Rhino Jazz(s) est une institution dans la vallée du Gier (Loire, 42), sa programmation est attendue chaque année, notamment grâce à une richesse des genres, jazz au sens large, débordant sur le blues, la soul, le funk. Richesse également, car investissant une multitude de lieux et de villes.
La programmation avait une résonance particulière en cette année 2017, car c’était l’aboutissement d’un projet de quatre ans, intitulé David Bowie’s Project : « We Could Be Heroes », avec notamment la nomination d’un directeur artistique, en charge de créer une cinquantaine d’événements autour des musiques de David Bowie, dont des créations. Avec, en apothéose, The Band From David Bowie’s Blackstar, avec Donny McCaslin (saxophone), Mark Guiliana (batterie), Tim Lefebvre (basse), Jason Lindner (Piano), c’est-à-dire rien de moins que les musiciens qui ont enregistré le dernier album de David Bowie sorti en 2016. Plutôt classe, comme projet, non?
Il faut savoir que ces petits gars ont déjà pas mal de bouteille et ne sont pas des manchots. Donny McCaslin a notamment joué avec le Maria Schneider Orchestra et accompagnait déjà David Bowie sur la première version du titre Sue (Or In A Season Of Crime). L’homme a toujours su s’entourer de bons musiciens et lorsqu’il les a découverts en club à New York, il a absolument voulu qu’ils l’accompagnent sur son dernier album.
David Bowie, Addict-Culture en a déjà pas mal parlé, que ce soit pour Blackstar ou lors de sa mort, un petit tour sur le moteur de recherche vous fera remonter tout ça, notamment le très beau dossier The Man Who Changed Our World.
Nous voici donc en ce 21 octobre 2017, au Fil, SMAC de St-Etienne.
Il est 21h, les lumières s’éteignent, et après une courte intro musicale, entendre les premières notes de Lazarus prendre soudain vie sous ses yeux ne peut que donner des frissons, tellement c’est magique. Même si David Bowie n’est plus là, la magie opère, et puis ce thème lancinant, mélancolique parcourt le morceau et remplit la salle, magnifique. On sait qu’on va passer un moment à part. De manière surprenante, Lazarus sera le seul extrait de Blackstar.
S’ensuit un The Man Who Sold The World, de facture assez classique, de manière surprenante, très fidèle, même orchestré par ce groupe, peut-être pour mieux arriver dans le morceau suivant.
Warsawa, extrait de Low, s’enchaîne en effet directement et permet aux musiciens de se lâcher, notamment à Jason Lindner (Piano/synthé/machines) de partir dans une impro digne de cette période, et de faire démonstration de ses talents de bidouilleur de sons. Warsawa nous emmène très loin, déjà que le morceau originel est bien barré, et là, revisité par un quatuor avant-gardiste, c’est totalement jubilatoire. En plus, ils se permettent de l’enchaîner de manière naturelle au final de Space Oddity, waow !
Si vous voulez un aperçu, cliquez ici.
Reprendre David Bowie n’est pas chose aisée, même en ayant joué avec lui ; mais quand de jeunes jazzmen surdoués réinterprètent les morceaux, c’est autre chose. L’écueil de l’hommage aimable est évité. Ce soir, nous assistons à une véritable création, surtout qu’il n’y a pas de chant. Grâce à son souffle, Donny McCaslin assure avec classe les thèmes vocaux. Son instrument, amplifié par les effets sonores, porte et mène l’ensemble.
Life on Mars se joue à deux, saxo et clavier, de manière très intimiste, sans chichis, ni pathos, juste le ton qu’il faut, émouvant aux larmes.
Tous les musiciens sont réunis sur Battle for Britain, enchaîné à Little wonder (extraits tous deux de Earthling), tout en furie. Ce morceau est typique du concert : une intro de fou, suivie par un passage aérien sax et piano en duo, avec un beau solo de Donny McCaslin, puis tout le groupe se déchaîne sur le reste de la partition, offrant à chacun quelques passages de folie musicale.
Hallo Spaceboy est commencé assez librement et quand résonnent les premières notes qui constituent le thème principal, on sent que ça va être démentiel tellement la rythmique de ce morceau est infernale. Le résultat est effectivement dantesque. Le bassiste amplifie son instrument avec sa pédale d’effets pour la faire résonner dans la salle et l’emplir de ce son métallique.
Le groupe est au diapason, c’est un concert de pro qui est donné à voir et à écouter. Il faut souligner le travail de résidence et de re-création de ces musiciens, les voir sur scène, impressionnants de virtuosité. Chaque morceau donne aux musiciens l’occasion de faire une impro, de s’écarter du morceau originel pour se l’approprier. Ainsi, Mark Guiliana nous a démontré l’étendue de ses talents via un beau solo de batterie.
Lorsque sonnent les premières notes de Art Decade, autre extrait de Low, on sent la technique et les musiciens qui se font plaisir grâce à un répertoire riche. On les sent ravis d’être là, touchés et changés à jamais par le fait d’avoir joué avec le maître, et surtout d’avoir pu donner vie à ses morceaux. C’est une belle unité de sons et d’esprit dans ce concert. De plus, à part quelques friandises comme The Man Who Sold The World ou Life on Mars, c’est un répertoire non commercial, destiné à un public fan, de connaisseurs.
Pour le rappel, c’est un final d’anthologie sur Look Back in Anger, avec son rythme effréné qui laisse la salle sur le cul, et les musiciens exsangues, heureux d’avoir pu faire cet hommage.
Seul petit défaut, le set paraît trop court pour les fans que nous sommes, on ne voit pas le temps passer, on aurait aimé que ça continue toute la nuit…
Merci au Rhino Jazz(s) d’avoir pu permettre de faire revivre les chansons de David Bowie, et d’avoir fait exister ces événements autour de sa musique. La bonne nouvelle est que l’expérience continue en 2018.
N’hésitez pas à faire une recherche vidéo sur The Band from David Bowie’s Blackstar pour avoir un aperçu de la soirée.