[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]D[/mks_dropcap]u Velvet Underground à Slowdive, nous ne comptons plus le nombre de reformations de groupes devenus cultes après leur séparation. Mais peu l’étaient déjà avant. The Dream Syndicate fait partie de ces rares artistes ayant marqué les esprits avec leur premier album aux méandres psychédéliques, The Days Of Wine and Roses, sorti en 1982. Que ce soit Primal Scream ou Yo La Tengo, ce disque a inspiré plusieurs générations de groupes indés.
De retour avec un album groovy et psychédélique, How Did I Find Myself Here ?, The Dream Syndicate était de passage à Paris pour son premier concert dans la capitale depuis 1988. Il partageaient alors l’affiche avec les Go Betweens.
Addict-Culture en a profité pour rencontrer le passionné et passionnant Steve Wynn pour une interview retraçant la carrière du groupe.
Depuis la reformation du groupe, en 2012, vous avez donné quelques concerts. La sortie d’un album n’a été annoncée que début 2017. Quel a été l’élément déclencheur qui a mené à How Did I Find Myself Here ?
Nous nous sommes réunis initialement avec l’idée de donner quelques concerts. Rapidement quelque chose s’est passé. Le groupe sonnait bien, sans être une copie conforme du Dream Syndicate des 80’s. La fraîcheur et la nouveauté prenaient le dessus sur la nostalgie. Nous avons eu envie de documenter cette étape en entrant en studio pour voir où ça nous mènerait. J’adore jouer live, mais, m’ennuyant vite, je voulais aller de l’avant. La qualité du résultat nous a surpris. Ayant tous évolué en tant qu’individus et musiciens, c’était comme être dans un groupe différent. Cette impression a été confirmée par notre entourage. Cette période était excitante.
De la séparation du groupe, en 1988 jusqu’en 2012, les membres du groupe sont restés en bons termes, jouant même parfois ensemble sur scène. Y a-t-il eu des tentatives de reformation avortées ?
J’ai effectué deux tournées solos avec Dennis Duck (le batteur du groupe ndlr), enregistré avec Mark Walton (le bassiste ndlr) à plusieurs occasions. S’il ne faisait pas partie du groupe à l’époque, je travaille avec Jason Victor depuis 15 ans. C’était étrange de se retrouver tous ensemble dans une même pièce. Nous avons été sollicités à plusieurs reprises par le passé. Nous étions soit trop occupés, soit pas intéressés. Il nous a fallu du temps pour considérer sérieusement l’éventualité d’une reformation. On nous a offert un local de répétition pendant trois jours pour nous préparer à notre premier concert à Madrid. En une heure nous sonnions déjà comme une version plus excitante de The Dream Syndicate. Du coup, nous avons préféré faire du tourisme et un peu de shopping (rire).
Tu as déclaré récemment que The Dream Syndicate n’a jamais splitté, que vous avez juste arrêté de jouer ensemble. Les choses étaient-elles aussi claires fin 1988 quand l’aventure s’est arrêtée ?
Cela faisait huit ans que le groupe existait. Quand tu as la vingtaine, c’est une longue période. Presque le tiers de ta vie. Il n’y avait plus de motivation pour créer une musique pertinente. Voulant produire quelque chose de nouveau, j’ai plié bagage. C’est un principe depuis le début de ma carrière, dès que le fun s’estompe, je crée un nouveau projet solo ou un nouveau groupe. Je ne l’ai jamais regretté. Ça sonne comme ce vieux cliché que chaque groupe qui débute ressort dans chaque interview. Mais contrairement à la plupart, je suis un homme de parole.
The Dream Syndicate a inspiré plusieurs générations. À vos débuts, quels étaient les artistes qui vous ont donné envie de monter un groupe ?
Nous étions des passionnés du Gun Club, des Only Ones, de The Fall, des Stooges, du Velvet. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’à notre tour nous avons inspiré des gens. Nous avons plutôt passé un relais. On retrouve un peu de The Dream Syndicate dans Yo La Tengo, My Bloody Valentine, Primal Scream. Ils ont fait avancer les choses. Ce qui est génial, c’est que ce sont maintenant à eux que j’emprunte, car j’adore leur travail. Je ne veux pas reprendre les choses là où elles en étaient en 1988. J’ai envie de voir comment nous pouvons sonner sans calcul, juste avec la passion.
Toi qui sembles avoir la bougeotte, tu te retrouves aujourd’hui à jouer avec les mêmes personnes depuis cinq ans. C’est une performance !
Oui, c’est surprenant. Dans sa courte première vie, The Dream Syndicate a eu plusieurs line up. J’ai l’impression que nous avons trouvé la bonne formule. The Dream Syndicate est enfin devenu un groupe. Ce qui ne veut pas dire que nous avons enregistré de mauvais disques par le passé. L’histoire du rock nous a prouvé à plusieurs occasions que des changements de membres n’affectent pas la qualité d’un groupe. Regarde le Velvet Underground.
Tu as voulu que le nouvel album retrouve l’esprit de The Days of Wine and Roses. Beaucoup considèrent ce disque comme un classique absolu. Te concernant, est-ce un disque que tu essaies encore aujourd’hui de surpasser ?
Nous étions conscients de sa qualité dès le départ. Ayant grandi en écoutant des disques de Bowie et de Dylan, il était inconcevable de reproduire deux fois la même formule. Aucun de nos quatre albums des 80’s ne se ressemble. Lors de la reformation du groupe, je me suis demandé ce qui rendait The Days of Wine and Roses si spécial et tout est parti de là.
Vous avez beaucoup tourné avant d’enregistrer l’album. On sent un groupe soudé sur le disque. Le morceau-titre, sorte de jam évolutif de 11 min, en est l’exemple parfait. Reproduire un son live était-il votre priorité ?
Oui, c’était important, mais ce n’est pas le seul facteur. Nous nous sommes accordés une grande liberté en studio. Nous n’avons fixé aucune limite pour explorer de nouvelles pistes. Le seul objectif était de pouvoir être fiers de poser le nom du groupe sur la pochette de l’album. Nous avons enregistré vingt chansons sans aucune pression. Chacune sonne différemment. Beaucoup d’options s’offraient à nous pour les douze titres à retenir. Chacune produisait un album radicalement différent.
Cette liberté est-elle liée au fait que vous ayez enregistré l’album sans avoir de contrat avec une maison de disque ?
Exactement. Nous ne voulions personne pour nous conseiller ou nous influencer. Le marché n’est plus le même que dans les 80’s, mais on te réclame toujours un morceau pour passer en radio. Ce qui est stupide nous concernant. Nous sommes l’opposé d’un groupe à single.
Vous ne vous êtes pas éloignés du psychédélisme, mais vous en apportez une version différente des albums précédents. Elle donne l’impression de viser plus large que le psychédélisme rock. Comment justifiez-vous cette évolution ?
Nous n’écoutons que de la musique psychédélique. Mais pas celle issue du mouvement rock à la fin des 60’s. Je suis un passionné de la fin de carrière de Coltrane, d’Ornette Coleman, de Pharoah Sanders. J’écoute aussi beaucoup de musique folklorique irlandaise plutôt barrée, de la musique africaine, du Bollywood. Je suis très axé sur les percussions. Si un album me transporte ailleurs mentalement, je le considère comme psychédélique. Il n’y a pas que 13th Floor Elevator dans la vie.
À propos de Jazz, la pochette d’How Did I Find Myself Here semble s’en inspirer. Elle fait penser à Somethin’ Else de Cannonball Adderley ou bien Ornette on Tenor. Est-ce volontaire ?
J’aime beaucoup le webzine Aquarium Drunkard. Ils ont un designer maison dont j’apprécie le travail de longue date. Je l’ai contacté pour qu’il me propose une idée pour le design de la pochette. Il a eu carte blanche. J’ai adoré le résultat, un mélange de vieille pochette de jazz et de disque blaxploitation. Je m’y suis retrouvé car ce sont deux influences présentes sur l’album. Surtout sur le morceau titre que certains ont comparé à du Miles Davis et du Herbie Hancock. Une première pour moi, je n’en revenais pas. C’est plutôt flatteur !
Trouver une maison de disque a-t-il été facile au regard de la légende que vous entretenez ?
Nous avons proposé l’album terminé à Anti, notre premier choix de label. Ils ont accepté immédiatement de le sortir. C’est aussi simple que ça. Heureusement car j’appréhendais le démarchage. On se retrouve sur le même label que Tom Waits, Nick Cave et Mavis Staples. Que des gens qui sortent des disques depuis longtemps mais qui n’ont rien perdu de leur créativité. Le label n’est pas géré par des gamins. Les gens de chez Anti sont des passionnés qui ont de la bouteille. Nous avons toute notre place chez eux.
Kendra Smith, membre original du groupe a rédigé les paroles de Kendra’s Dream. C’est une manière de boucler la boucle. Y a-t-il un message particulier lié au fait que ce morceau soit le dernier de l’album ? N’y a-t-il pas de plan pour prolonger l’aventure au-delà de ce disque ?
Kendra’s Dream est en fin d’album volontairement. C’est ma façon de laisser supposer que tout l’album était son rêve, voir son fantasme. Nous travaillons sur notre prochain album. Il va surprendre beaucoup de monde car il part encore plus loin. La chanson-titre de notre dernier album, How Did I Find Myself Here ?, donne une bonne idée de la direction très groovy que nous empruntons. Nous composons un titre et le jouons sans cesse jusqu’à arriver à un état de transe. La mélodie reste au centre, mais nous travaillons sur la répétition. C’est une méthode que nous avons redécouverte avec How Did I Find Myself Here ?. Trente-cinq ans après, les gens l’aiment et l’achètent encore. Pourtant, la société et nos modes de vies ne sont plus les mêmes. J’ai réalisé qu’on pouvait s’abandonner dans ce disque. C’est comme un trip sous acide de 35 minutes qui, à l’arrivée, fait de toi une meilleure personne (rire).
Kendra Smith a arrêté de sortir des disques il y a plusieurs années. As-tu toi aussi à un moment pensé à stopper ta carrière ?
Jamais. J’ai signé un contrat pour publier mes mémoires. Je n’ai pas encore rédigé la moindre ligne car, pour le faire sérieusement, il faudrait que je consacre une année à l’écriture. Enregistrer de la musique est une passion. Arrêter quelques mois pour faire autre chose n’est pas encore envisageable pour moi. Aujourd’hui, il est plus facile de travailler sur différents disques en même temps. Internet a changé la donne. Collaborer avec d’autres musiciens n’est plus vécu comme une trahison. Je m’éclate, pourquoi m’en priver ?
Vous étiez bien partis pour passer à la dimension supérieure. Des groupes comme les Bangles ou Mazzy Star qui est une prolongement d’Opal ont connu un certain succès. Avoir tourné avec des groupes comme U2 ou REM vous a-t-il montré un aspect du succès qui ne vous intéressait pas ?
The Dream Syndicate n’avait pas la même mentalité. Nous étions différents dans le sens où devenir célèbre n’était pas notre but. Les groupes dont tu parles étaient taillés pour le succès. Regarde les Bangles qui sont issus de la même scène que nous, initialement. Leur musique est devenue différente. Notre son n’était pas taillé pour les grandes salles, car aucune de nos influences n’était un groupe célèbre à l’époque. Malgré tout, nous arrivions à remplir des salles de concert de taille correcte, et à jouer en première partie de gros groupes à leur demande. Je n’en reviens toujours pas. Tu sais, au final, ça n’aurait jamais fonctionné car la cible préférée des gros labels, les ménagères de moins de 50 ans, aurait eu un problème avec ma façon de chanter (rire).
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Merci à Thomas Rousseau
Crédit photo : Alain Bibal