[mks_pullquote align= »right » width= »250″ size= »15″ bg_color= »#49a679″ txt_color= »#ffffff »]The Outsider – 10 épisodes 60min
créateur : Richard Price
production : Aggregate Films, Media Rights Capital
distribution : Ben Mendelsohn, Mare Winningham, Jason Bateman, Cynthia Erivo, Yul Vazquez, Jeremy Bobb, Julianne Nicholson, Paddy Considine
diffusion : HBO et OCS en US+24 depuis le 12 janvier
[/mks_pullquote][dropcap]Q[/dropcap]u’est-ce qui fait de The Outsider indubitablement déjà une des meilleures séries de l’année ?
The King, pour commencer
Le nom de Stephen King est la première des accroches, même si malheureusement régulièrement galvaudé par des ratages sériels comme cinématographiques. Mais ces dernières années, plusieurs adaptations réussies et même supportées par le maître de l’horreur, ont rétabli un peu l’ordre des choses, replaçant son œuvre en garantie de qualité en matière de scénario macabre comme de récit fantastique.
Ici, il s’agit d’imaginer la destination étrange des conséquences d’un événement fatal tout en évoquant la chaîne de destruction déclenchée par la perte d’un être cher.
Chercher une explication tangible, à l’image de la résolution d’un crime, trouver un coupable pour enfin assimiler, accepter l’inacceptable.
Par la création d’un personnage totalement chimérique aux capacités effrayantes, l’auteur entre dans la délicate question de la présence du mal. Celui qui expliquerait l’insupportable capacité humaine à faire souffrir, se nourrir de la souffrance de certains, de tirer parti de la mort de quelqu’un et même de tuer. Et le répéter.
Côté adaptation, le principal signataire de The Outsider n’est pas n’importe qui : Richard Price, son créateur, est un des grands du monde des séries, puisqu’il a à son actif des scénarios comme celui de The Wire, The Night Of, et plus récemment The Deuce. Des histoires noires, profondes, multiples, terriblement justes.
Ajoutons à tout cela la participation du grand Dennis Lehane (monsieur Shutter Island), crédité spécifiquement sur l’excellent épisode 7, et présent dans l’équipe de production exécutive pour l’ensemble de la série.
Et nous obtenons une intrigue plus que noire, ambigüe et angoissante.
Faits et semblances
Le corps d’un petit garçon est retrouvé dans un bois, et l’évidente violence de sa mort frappe les policiers qui le découvrent. Ralph Anderson (Ben Mendelsohn) est l’enquêteur en charge et travaille de concert avec un représentant de la police fédérale de Georgie, Yunis Sablo (Yul Vazquez).
Les témoignages se croisent, tout ou presque mène rapidement au même homme : l’entraîneur de base-ball Terry Maitland (Jason Bateman). L’imbrication fluide de l’enquête rassure, et Anderson touche du doigt la satisfaction de la justice en marche.
L’homme est vivement arrêté, emprisonné, et voit sa vie s’écrouler sans arrêter de clamer son innocence. Marié avec deux enfants, apprécié de toute la communauté, le trauma est personnel et général.
Mais Ralph Anderson doute. Quelque chose ne colle pas. L’homme qu’il observe sur les vidéos de surveillance a un comportement étrange. Alors que tout bascule dans une violence destructrice, le malaise s’installe et une question finit par émerger :
Comment cet homme a pu être à deux endroits au même moment ?
Là est la clé de toute l’intrigue, qui passe habilement du traitement policier du récit à son aspect fantastique. Entre en jeu Holly Gibney (Cynthia Erivo), une enquêtrice privée qui sort de l’ordinaire. Ses capacités exceptionnelles l’ont habituée aux enquêtes dont il faut tirer le plus petit des détails, à mettre au service des avocats de la défense.
Ses recherches l’amènent au seuil du tangible, bien au-delà de ce que peut accepter l’équipe qui s’est réunie malgré elle autour d’un seul et même problème.
Réalisation
Interdite aux moins de 16 ans sur notre territoire, The Outsider affiche la couleur : noire sang. Mais n’imaginez pas y voir des baquets d’hémoglobine s’écouler sur votre écran, au contraire. Les insertions sanglantes sont suffisamment peu nombreuses pour marquer et participer à la tension permanente.
Les premiers épisodes sont portés de main de maître à la réalisation par Jason Bateman (qui s’était déjà essayé à l’exercice dans la très bonne série Ozark). Tout s’enchaîne sans faiblir et la dynamique du récit restera juste de bout en bout.
Des séquences posées, sans effets grossiers de terreur factice, dans lesquelles les échanges ne sont jamais verbeux, où les silences ont également leur importance.
Le cadrage très réfléchi est essentiel à cette tension permanente. Par des cadres larges et décentrés, un peu comme s’il était prévu d’y voir entrer un intrus, ou éloignés des personnages comme si quelqu’un écoutait (peut-être à vos côtés) on maintient en alerte tout en restant très en prise avec une réalité simple.
Des évidences qui se compliquent, contredites, et l’empathie se développe autour de ceux qui ne représentent plus la loi mais l’humanité.
Performances
La distribution de The Outsider n’a pas été décidée dans une seule logique publicitaire. Sans conteste réussie, elle impose à travers ces comédiens une dimension de possible dans un récit qui s’en éloigne dangereusement.
Le premier d’entre eux, Jason Bateman, impressionne dans le costume ambigu de meurtrier, ce gentil père de famille qui aurait réussi à cacher une part de sauvagerie aux yeux de tous.
Mais le rôle le plus important de la série est bien celui de Ralph Anderson, interprété par Ben Mendelsohn. L’excellence de sa composition amène un inspecteur torturé par plusieurs formes de culpabilités. Tout d’abord, celle liée au deuil de son propre fils, qui rejaillit brutalement à la mort de ce petit garçon.
Ensuite, la culpabilité d’avoir sauté sur l’occasion donnée par les évidences de son début d’enquête. Deux familles détruites par un geste de précipitation qu’il ne réussit pas à se pardonner.
Le tout l’impliquant plus profondément qu’il ne le voudrait dans cette investigation qu’il s’échine à vouloir maintenir sur un plan « réaliste ».
Ce comédien australien à qui il a été facilement proposé des rôles de méchants (le shérif de Nottingham du Robin des Bois de 2018, ou Sorrento de Ready Player One), propose un flic sensible, en lutte psychologique, qui pose un regard clair et dur sur sa propre existence. (Superbe)
À ses côtés, dans le rôle de son épouse, un visage si agréable à retrouver dans un personnage qui lui convient aussi bien : celui de Mare Winningham. La douceur et la tristesse de son regard, associées à la dureté de ses traits, correspondent parfaitement à cette maman à jamais en deuil, dont le travail est l’assistance de plus malheureux.
Mais, au sein de son propre foyer, la douleur de chacun a installé une distance gigantesque. Les efforts sont eux aussi de taille quand il s’agit de soutenir son mari dans ses questionnements. Jeannie Anderson n’est pas femme à laisser faire sans discuter, sans mettre en doute, quitte à forcer la main de cet homme cartésien qui refuse d’accepter la réalité de sa propre souffrance.
Le deuxième rôle le plus important de The Outsider est une femme qui établit le scénario que personne n’a pu imaginer, et essaye d’ouvrir les yeux aux hommes pragmatiques qui composent l’équipe de l’enquête, avocat, policiers, détectives.
Cynthia Erivo alias Holly Gibney, offre un personnage attachant malgré l’incompréhensible don qui lui fait remarquer énormément de choses à son insu, hypercalculatrice sans le vouloir (par exemple, elle peut deviner la taille précise de tout ce qui l’entoure d’un seul coup d’œil).
Elle incarne une certaine forme d’innocence, d’ingénuité, tout en réussissant à envisager le pire, même hors de la réalité, mais toujours en toute logique. On s’accroche à son personnage, prise positive sur la voie obscure de l’explication qu’on a peur d’affronter. Elle est celle à qui le spectateur s’associe pour convaincre le reste du monde.
Car, face à cette équipe, il se trouve bien tous les autres. Glory, la femme de Jerry Maitland (Julianne Nicholson) et leurs filles traumatisées qui cherchent leur lot d’explication ; toutes les nombreuses victimes qui ne connaissent pas encore autre chose que leur propre engagement dans une gigantesque carte de l’horreur ; tout ceux qui pensaient avoir connu une résolution définitive de leur calvaire ainsi que leurs représentants juridiques ; les futures victimes et leurs familles qu’il faut persuader et même contenir…
Dans la catégorie des récits horrifiques, sans effets outranciers ni giclées de sang, The Outsider s’impose aisément, et s’ajoute à la longue liste des très bonnes séries estampillées HBO.
Selon Price et King, il est tout à fait possible de voir une saison 2 suivre, même si HBO n’a pas encore fait d’annonce de ce côté-là.
En attendant, cet Outsider entre bien dans la liste des meilleures séries 2020.