Je me souviens encore de cette nuit étrangement calme où les harmonies de Fragment Two venaient se nicher dans mes oreilles. Une caresse fascinante, art rock pour les experts, combustion lente d’une pop savante pour les plus audacieux.
A rebours, je me perdais sur les sentiers des premières sensations (Beat Pyramid en 2008 puis Hidden en 2010) mais c’est bien le troisième chapitre (Field Of Reeds) qui m’aura définitivement convaincu, la marque indélébile d’un franchissement de cap. L’expérimentation de la matière ne suffisait plus, elle devait être couchée sur le papier, actée de la plus noble des manières.
En mai 2019, j’écrivais en ces colonnes mon enthousiasme débordant à l’encontre d’Inside The Rose. Rarement la musique ne m’avait autant troublé depuis le passage au 3ème millénaire. Maîtrise sidérante d’un imaginaire en ébullition.
Après six ans d’attente, les têtes pensantes de These New Puritans reviennent pour nous éblouir, certes sans surprise mais pourvu d’un éclat de musique pure qu’il conviendra de jauger et apprécier dignement avec le temps.
Un chant céleste s’élève des entrailles de la terre. Il ouvre la marche d’un pèlerinage sonore entre ciel d’orage et agitation des cœurs.
Crooked Wing écrit à quatre mains par les frères Jack et George Barnett s’offre à nous comme un hymne intemporel, le récit d’un cri dans une cathédrale industrielle.
Un album qui résonne au gré des soupirs de machines impressionnantes et d’amours inhumains. Entre la beauté déchue et la brutalité sacrée, These New Puritans tisse une berceuse où la lumière vacille au bord d’un gouffre sonore.
Les mélodies y dansent comme un spectre entre les genres. Jazz spectral, pop harmonique déformée, électronique qui suinte comme de l’huile de machines, crooners fantomatiques. Chaque morceau est une créature hybride, mi-bête, mi-ange… et ce n’est pas la divine apparition de Caroline Polacheck qui pervertira le dessein. Industrial Love Song ou la mécanisation du genre humain s’active ainsi sans écarter de la matrice le domaine sensible… Heureusement !
Au casting de ce sommet, impossible de ne pas souligner l’apport considérable de Graham Sutton. Celles et ceux qui ont été nourris par les dérivations post-rock de Bark Psychosis conviendront que les textures vaporeuses collent ici parfaitement aux humeurs finement senties par nos serviteurs.
Les cloches d’une église orthodoxe résonnent comme une incantation (le leitmotiv obsédant de Bells nous embarque pour des songes radieux, un brin de larme au coin de l’œil). Les orgues majestueux soupirent dans le flou environnant. Tout est contraste : la beauté blessée, la douceur armée…
Vibrations aux allures martiales avec A Season In Hell (sorte de réminiscence en quelque sorte de We Want War) pour un revers de la médaille bien plus tranchant.
La dernière note nous parvient et le chant de l’enfant s’éteint à nouveau. Fin de la boucle. Il est temps de renouer avec un nouveau cycle.
These New Puritans ne laisse aucune place au hasard. Le duo sculpte littéralement l’espace et le brio de Crooked Wing s’entend alors comme un rêve lucide qui brûle doucement.
Magistral envol !
Crédit photo : Jeremy Young

These New Puritans · Crooked Wing
Domino – 23 Mai 2025