Après trois romans policiers se déroulant à Atlanta de 1948 à 1956, avec les héros noirs Tommy Smith et Lucius Boggs, Thomas Mullen signe avec La dernière ville sur terre, un roman à la fois historique et policier, situé à l’aube de l’année 1918. Alors que la Seconde Guerre Mondiale continue de faire des ravages, une épidémie de grippe espagnole commence à sévir et à provoquer une hécatombe mortelle. Dans une petite ville du Nord-Ouest Pacifique, on décide de se mettre en quarantaine afin d’éviter la propagation du virus dont on ignore comment il se répand. L’accès est interdit à toute personne étrangère à la petite ville. Des tours de garde sont organisés pour repousser toute intrusion d’individus extérieurs. Par roulement de deux hommes, tous les soirs, armés de fusils, on guette; tout le monde est mis à contribution, des vieillards comme des adolescents. Or un jour, un soldat en guenille et mal en point approche trop près de l’entrée malgré les sommations des hommes qui montent la garde. Un drame survient…
Comme pour ses précédents textes Thomas Mullen a le souci du détail pour documenter ses intrigues, pour donner une épaisseur à ses textes. Comme un rappel à l’actualité que nous avons connue avec la pandémie de Covid, Thomas Mullen nous donne à lire une histoire comme une résonance particulière avec ce que nous avons vécu de semblable parfois. Le confinement, les propagandes et le complotisme, l’avancée espérée de la médecine pour trouver une solution à la pandémie, l’affolement généralisé, un peu comme si l’histoire n’était qu’un éternel recommencement. En parallèle, Thomas Mullen évoque le climat social de l’époque, la lutte syndicale pour que les travailleurs obtiennent des droits, des paies décentes mais tout ceci est réprimé dans le sang par les policiers et l’armée avec cette peur du communisme, ennemi juré du capitalisme. Chaque personnage, avant d’arriver dans cette ville qui a décidé de vivre en totale autarcie, a droit à un portrait touffu et détaillé : des destins contrastés, froissés par la mort de près, la perte d’un être cher. L’installation dans la ville semble être un repos bien mérité, une pause sur une existence chahutée mais qui se voit perturbée par cette pandémie.
En presque 600 pages Thomas Mullen oscille entre roman historique richement documenté et polar addictif avec une tension créée par l’isolement dont on ignore la durée, alors que la grippe commence à affecter les habitants de la ville. L’auteur nous tient en haleine jusqu’au bout. On ne lâche pas le texte avant que l’on puisse connaître le sort de chacun d’entre eux, pris de culpabilité de ne pas avoir bien agi, d’avoir menti parfois. Thomas Mullen rend également la complexité des personnages pris dans leur incapacité de faire des choix, tiraillés dans leur intériorité surtout celle des adolescents manquant d’expérience et de recul mais à qui on demande de grandir plus vite, bien malgré eux.
La dernière ville sur terre de Thomas Mullen
traduit par Pierre Bondil
Rivages noir, janvier 2023
Image bandeau : Photo de Lysander Yuen sur Unsplash