[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]S[/mks_dropcap]orti le 17 août dans les salles françaises, Toni Erdmann est le troisième long-métrage de la réalisatrice, scénariste et productrice allemande Maren Ade. Fortement remarqué par la critique lors du festival de Cannes, il y a remporté le Prix de la critique internationale qui a pour but de soutenir le cinéma de genre, original et personnel.
Déjà remarquée et saluée pour son précédent film Everyone else (Alle Anderen), la réalisatrice avait agréablement surpris presse et public par le rythme, la qualité des dialogues, la singularité des personnages et une touche de poésie constante. Si, dans cette réalisation, elle avait choisi la chaleur et les paysages de la Sardaigne, dans Toni c’est la Roumanie et sa capitale Bucarest qui servent de décor.
L’histoire est simple : un père et sa fille ne se connaissent que très peu, se voient encore moins et ont des styles de vie totalement opposés. Pour autant ils ne détestent pas, ils sont simplement étrangers l’un à l’autre. Puis soudain, poussé par un coup dur, le père décide de faire intrusion dans la vie de sa fille…
Le pitch que l’on trouve sur la toile, parle volontiers d’une comédie, d’une fantastique tranche de rire et de sketches en pagaille. Il est vrai que de nombreuses situations ont un fort potentiel comique (le gag du dentier utilisé inlassablement par le père, le cadeau d’anniversaire en forme de râpe à fromage, le brunch d’anniversaire digne des pires cauchemars et plein d’autres très succulents), mais il a aussi, et surtout, un fort ancrage dramatique.
Tout d’abord, il y a le père, interprété par Peter Simonischek : parfait clown dans toute sa splendeur, sans limite ni règle de savoir-vivre. Pour lui, toute situation est prétexte à la pire blague et à l’imitation la plus loufoque. Dans sa famille, son travail et même auprès de sa vieille mère, il est un être à part, qui ne les fait plus rire depuis longtemps. Il est celui qui n’écoute rien et s’isole volontairement.
Sa fille, incarnée par Sandra Müller, a tellement travaillé pour avoir les pieds sur terre qu’elle en oublie qui elle est. Employée d’une grande compagnie chargée d’étudier et mettre en œuvre un gros plan de licenciement et d’externalisation, Inès traverse les jours et les semaines sans un seul battement de cil. Déracinée, seule et en manque de reconnaissance, elle vit comme tout expatrié qui ne sait pas bien pourquoi et où il est : vie facile, sans attache et peu de contact avec les locaux.
En plus d’être une réflexion sur les rapports père-fille, avec les questionnements classiques et attendus sur la construction d’une relation profonde et d’un modèle parental, il questionne également sur ce que deviennent les rêves d’enfant. A-t-on seulement le choix ? Pouvons-nous nous y accrocher quitte à être inadapté ? Et pour autant, Inès est pleine de surprise et de ressources, et sachez, mesdames, qu’elle saura vous donner une fantastique astuce pour vous débrouiller avec la fermeture éclair de votre robe sans avoir besoin de personne…
Le choix de placer l’action du film n’est pas anodin. L’Allemagne est un pays puissant et riche, en tout cas dans l’imaginaire collectif, et le fait de déplacer les personnages renforce leur côté fragile et vaguement chancelant. On note aussi quelques clins d’œil à la culture roumaine et bulgare, qui sont autant de clés d’humour que les personnages saisiront à pleine main : la peinture des œufs de Pâques notamment qui donne lieu à un moment de gêne particulièrement délectable.
Un détail vous aura peut-être marqué voire freiné : la longueur annoncée. Car, oui, 2h42 ce n’est pas habituel et confortable pour tout le monde. On vous rassure d’emblée et sans sourciller, nous n’avons trouvé aucune longueur à Toni et ne saurions pas quelle(s) scène(s) couper tant chacune d’elles et leur rythme sont précieux. En effet, il faut du temps pour mettre en place les différents éléments, qu’on fasse connaissance et cerne les personnages. Certaines scènes ont ce qu’on peut appeler des « rythmes de vraie vie », et rien ne nous fait plus plaisir que de les voir à l’écran quand ils sont bien restitués.
Maren Ade sait induire les émotions de façon douce et certaine, et d’une manière très poétique nous pose à tous la question de la valeur de nos actions et de nos choix, dans un monde où inéluctablement nous finirons tous en boite…