Ils ont le format idéal (celui d’une main) pour vous accompagner dans les plus folles aventures de votre été, mais vous serez bien avisés d’en prendre grand soin, car les trois petits volumes signés de trois grands maîtres de la littérature, Maupassant, Gogol et Flaubert que publient les Éditions Allia sont de surcroît juste magnifiques. Couverture métallisée avec rabat contrastant ou décorée du pinceau de James Ensor ou Enrico Baj, on est au must en matière de qualité éditoriale! Et comme toujours chez Allia, spécialiste des textes courts, inédits ou plus rares, le fond n’est jamais en retard sur la forme. Pour ce triptyque estival nous retrouvons nos trois grands écrivains, dangereusement penchés au bord d’un vide qui menace de les submerger, voire y parvient…
Commençons tout d’abord par Maupassant dont le volume regroupe huit contes parus dans la presse entre 1890 et 1889 et qui s’intéressent à un sujet délicat et encore largement tabou hier comme aujourd’hui, le suicide. Chacune de ces histoires relate un de ces trajets de vie douloureux qui se retrouvent pris au piège dans le corridor sans issue du suicide. Que cette pulsion saisisse les personnages parce qu’ils reviennent nostalgiquement sur leur vie en consultant de vieilles correspondances ou que l’exclusion, la différence non acceptée, la lâcheté ou la monotonie insoutenable d’une existence toute tracée les fassent un jour basculer, Maupassant dit clairement combien les causes ne manquent pas pour commettre un geste désespéré. Et si certains se laissent mourir on voit bien comment ils y sont conduits presque encouragés par les autres et leur triste condition. C’est sans doute le premier conte L’endormeuse qui dévoile le mieux la pensée de Maupassant sur le sujet. Il y rêve d’un endroit où les gens pourraient se suicider sereinement, comme si face à l’inéluctable il voudrait au moins le doux et le décent. Ces Contes sur le suicide, attestent s’il en était besoin, de la profonde humanité de l’auteur et de son talent sans pareil pour dire en quelques mots l’absurde et la dureté des « vies minuscules » comme les qualifiaient Pierre Michon, la fragilité désarmante de nos existences tragiques.
Le vide, c’est au centre du visage de son héros découvrant un beau matin que son nez a disparu, que Gogol le fait magistralement apparaître. Et évidemment, à la manière d’un membre fantôme, Le Nez de l’assesseur de collège Koliakov ou plutôt sa terrifiante absence le plonge dans une douleur psychologique intense. On le suit dans cette fable fantasque dont il se pourrait bien qu’une version antérieure attribue une fonction encore plus virile à cette chose manquante, tentant de faire passer une petite annonce pour le retrouver, de faire porter le chapeau à une rombière qui voulait le marier à sa fille, ou essayant de recoller l’appendice que la police lui restitue soudain un matin comme si de rien n’était. En suivant Koliakov qui aurait préféré être sans jambes ou sans bras que sans nez, on se plait à divaguer sur ce qui nous manquerait le plus, sur ce qui déjà nous manque ici et maintenant, sur notre part de vide et d’effroi à le contempler. Mais on s’amuse autant qu’on s’inquiète et on se délecte de la prose alerte de Gogol aussi bizarre que réjouissante!
Enfin dans Les Mémoires d’un Fou de Gustave Flaubert, c’est au bord du vide métaphysique le plus total et le plus vertigineux que nos yeux se baissent pour lire ces pages magnifiques. Il s’agit sans conteste du texte le plus grave entre ces trois livres, bien que le narrateur ne passe ici pas à l’acte ultime comme les personnages de Maupassant, mais parce que justement, sans doute, il nous laisse avec cette pesanteur extrême, cette désillusion et ce désenchantement définitif sur l’existence qui leste notre esprit comme un morceau de béton. La vie pèse sur lui « comme un remords », il est atteint d’un doute profond qui entache tout sens qu’il pourrait transitoirement accorder aux choses. Alors, premiers amours déçus, dégout des plaisirs de la vie, vanité de l’art ou de l’action rien ne semble arrêter la glissade inexorable vers le néant. Esclave de la vie l’homme porte un si lourd fardeau qu’il ne sait jamais s’il sera capable de résister à cette charge et de tenir un jour supplémentaire. La plume déjà lyrique de Flaubert dans ce texte écrit encore adolescent donne une belle hauteur à ces premières réflexions sur les désillusions de la vie, et on perçoit à rebours ce qu’il sera resté du jeune homme dans l’écrivain qu’il deviendra.
Ces trois opuscules sont donc à lire immédiatement chez Allia ou à glisser dans votre sac pour l’été et je vous retrouve dès la rentrée pour de nouvelles pépites au format poche !!