Dire qu’on attendait la sortie de ce Compact Trauma avec impatience est bien en deçà de la vérité tant nous sommes fans d’Ulrika Spacek, depuis leur début en 2014 et surtout la sortie de leurs deux albums parus en 2016 (The Album Paranoia) et 2017 (Modern English Decoration).
Cela fait donc, si l’on met de côté Suggestive Listening, leur EP paru en 2018, 6 longues années à attendre le retour des 5 anglais de Reading, croisés aux 4 coins de l’Europe, épuisés par les contraintes liées au succès de leurs précédentes œuvres et contraints comme tant d’autres par cette satanée pandémie.
Certes 2022 avait déjà vu le retour en solo de Rhys Edwards sous le pseudonyme d’Astrel K, nous offrant à cette occasion, avec le fabuleux Glickering I, un des meilleurs albums de l’année dernière, mais le plaisir est encore plus grand de le retrouver en compagnie de Joseph Stone, Syd Kemp, Callum Brown et Adam Beach, le nouveau guitariste, depuis le départ de Rhys Williams, le co-fondateur du groupe.
L’enregistrement de l’album s’est fait dans la douleur et le poser aujourd’hui sur la platine tient du miracle, tant il semblait naître sous une mauvaise étoile et aurait même pu finir, oublié et pousserieux, au fin fond d’un quelconque placard. Changement de line-up, dissension interne, déménagement forcé de la maison studio où ils avaient l’habitude de se réunir et composer, rien ne semblait les épargner, tant et plus qu’ils durent mettre en pause ce troisième disque, pause bien sûr prolongée par le COVID.
Ces bouleversements et mésaventures pourraient justifier à eux seuls le titre de l’album, l’extraordinaire morceau d’ouverture The Sheer Drop évoque d’ailleurs leur obligation de quitter leur studio d’Homerton, havre de paix emporté par la gentrification sauvage qui ronge l’Angleterre et noyer l’album dans une profonde dépression.
Pourtant, Compact Trauma se révèle aussi lumineux que sombre, mélodique et sauvage tout à la fois et le plus souvent dans la même chanson, où changement de rythme et de direction semble tout naturel sans qu’Ulrika Spacek ne perde le fil de leurs propos et de leurs styles,The Sheer Drop ou le long et époustouflant Stuck At The Door étant des modèles du genre .
Influencé par le rock indé des 90’s, entre Sonic Youth et My Bloody Valentine, le quintet se rapproche aujourd’hui surtout d’un Deerhunter, avec lequel il partage cette volonté ambitieuse de casser les codes tout en cherchant à composer la plus belle des chansons.
A la fois très personnelles et universelles, les paroles de Rhys Williams évoquent les petits et grands drames du quotidien, les amitiés qui s’effacent, le manque de confiance en soi, tout en se plaçant dans l’environnement qui est le nôtre aujourd’hui, fait de bouleversements et cataclysmes. Les 10 chansons qui composent le disque peuvent être ainsi vues comme de petites bouées de sauvetage jetées à la mer auxquelles s’accrocher malgré les vents contraires et le mur du son qui cherche à noyer les douces mélodies de Lounge Angst ou le somptueux final No Design.
Compact Trauma dépasse les promesses de ses deux excellents prédécesseurs, semblant s’être nourri des divers projets parallèles de ses membres, introduisant ainsi avec bonheur quelques touches électroniques et effets spéciaux (It Will Come sometime) qui trouvent parfaitement leurs places entre guitares elles-mêmes particulièrement impressionnantes sur If The Wheels Are Coming Off, The Wheels Are Coming Off, basse et batterie, au sommet sur le fabuleux Diskbenksrealism
Avec cet impressionnant Compact Trauma, Ulrika Spacek revient plus grand, plus beau, plus fort. Vivement fin mai, qu’on puisse les voir sur scène du côté du Grand Mix à Lille, à La Maroquinerie à Paris ou lors du génial festival Levitation à Angers.
Ulrika Spacek · Compact Trauma
Tough Love Records – 10 mars 2023