[dropcap]J[/dropcap]e ne sais pour quelle sombre raison je me suis dévoué afin de vous parler de ce groupe de sauvageons venu des bas-fonds de Bristol. Faut pas se mentir, le chanteur beugle avec un voile sur les cordes vocales et ça sent plus la sueur qui s’égoutte dans la bière que le parfum des roses. Non, décidément IDLES ne devrait pas être recommandé aux âmes sensibles que nous sommes, leur barouf vulgaire manquant cruellement de raffinement. Ou alors, aurais-je manqué la subtilité du concept ?
C’est en 2017 que le public découvrait Brutalism. Une promesse âpre et incisive… L’impact auprès du public fut immédiat et les groupies assoiffées de sensations fortes s’agglutinait sur le devant de l’estrade afin de vibrer au son enthousiasmant des troubadours anglais. Le punk millennial redevenait enfin décomplexé, marqué par l’urgence de textes balancés dans un jet des plus caustiques.
La suite ne perdait pas de son ardeur. Joy As An Act Of Resistance enfonçait, un an plus tard, le clou jusque dans nos chairs déjà sanguinolentes, la condamnation des pensées toxiques fièrement dressée en guise d’étendard anti-connerie environnante.
Au sortir des ubuesques (pour ne pas dire pathétiques) tergiversations ayant mené au Brexit, Joe Talbot ne pouvait évidemment se taire mais, à la loupe, son propos s’avère bien plus large qu’un pamphlet à l’encontre des dirigeants britanniques.
Avec Ultra Mono, IDLES reprend les armes, accentuant le trait du sarcasme, assumant sa part de folie rageuse autant que sa clairvoyance d’esprit et de placement. « I am I » devient le crédo qui se glisse dans une prise de conscience universelle désirée. Derrière la façade de simples saltimbanques allumés se cache, en fait, un florilège de répliques finement senties, quitte à démarquer la petite bande des habituels poncifs viriles du genre. Le simple fait d’aboyer ses colères est forcément la soupape qui autorise une franche acuité spirituelle. C’est sans aucun doute pour cette raison que les rangs de sympathisants grossissent, que l’adhésion devient plus nette.
Il y a quelques mois, je questionnais plusieurs de mes amis afin de savoir, selon eux, quel artiste ou groupe incarnait le mieux le renouveau rock (même si, question résurrection, j’avoue que le phénix y a laissé quelques plumes). Sans que je puisse être surpris, les réponses du sondage se focalisaient majoritairement en direction d’IDLES. Pas forcément en raison d’un engouement systématique et aveuglé à leur égard, mais bien plus par reconnaissance de leur capacité à tenir la dragée haute à nos propres frustrations. Le tout emballé par une musique jubilatoire et féroce… La recette parfaite qui mène au succès. Celui-ci est donc nullement immérité, surtout lorsqu’à l’écoute successive de leurs trois albums, il est aisé d’entendre l’évolution du caractère, la tonalité propre de chaque disque, quand bien même le fil conducteur resterait tendu.
Alors que nous réserve ce ballon rose pris en pleine poire ?
Les convulsions et déflagrations de War sèment les distorsions criardes comme autant de missiles envoyés en direction des belligérants. Les décibels giclent dans tous les sens, les cris en rafale, la batterie ultra explosive de Jon Beavis…La plupart des titres gravitent d’ailleurs sur un même schéma tapageur dont le courant alternatif permet d’actionner une sorte de slam rugueux. Si les pulsions paraissent minimalistes, elles n’en demeurent pas moins lourdes voire, très souvent, sombres. Avec Mr. Motivator, le quintette réinvente l’aérobic chaotique. La pompe est installée et les pistons agitent les carcasses sur une rythmique démente.
Tandis que Joe Talbot serre les crocs, les guitares de Mark Bowen et Lee Kiernan se volent régulièrement la politesse dans un jeu d’émulation potache. Exemple flagrant à travers les coups de lames de Kill Them With Kindness, véritable arrachage amplifié d’une furie animale qui nous fait vite oublier l’introduction pianistique posée au titre d’un piètre leurre (nous duper alors qu’il était si évident que le bordel allait reprendre ses droits).
Pour couronner la première partie de la nouvelle livraison, c’est l’enfantillage mordant de Model Village (gonflé de redondances et riffs entrainants) qui s’impose à la lueur d’un clip réalisé par les frères Gondry… avant que la grammaire approximative de Ne Touche Pas Moi ne sorte son cliché énervé où l’on tape des pieds, hoche la tête, trépigne avec acharnement sur les roulements faisant tout valdinguer (sauf peut-être l’idée de voir apparaitre subitement l’icône Plastic Bertrand).
À vrai dire, si Ultra Mono est une vive réussite c’est en grande partie grâce à l’enchainement de ses dernières pistes. La profondeur de Carcinogenic est clamée avec sa juste dose d’anxiété. Pour autant, c’est bien plus un appel au carpe diem qu’un appel au glauque qui se livre ici, sans tact et sans bavure pour un récit aussi funeste que rempli de sagesse.
« You Only Die Once / You Never Come Back / You’re gone when you’re gone / So love what you can »
Dans la foulée, Reigns surgit avec la basse électronisée d’Adam Devonshire, des claquements francs et massifs, des cuivres acérés, infligeant une véritable claque sonore dans la face, une valeur ajoutée qui convoque sans doute plus le futur que le no future !
Avec The Lover c’est l’uppercut à peine sur le ring.
« There’s a feeling washing over me / It was built by you and me / Our Unity makes me feel so free to say / Fuck You, I’m lover”
Le genre de récitatif convaincu qui cogne bien plus contre le plexus que contre le cœur. Quoique… si l’ensemble a l’apparence d’un péplum noisy, les grésillements qui soulèvent A Hymn parviennent à sonder une singulière manière de progresser sans aucun excès d’adrénaline. Le chuchotement est tout aussi audible, les combattants sont apparemment rassasiés, mais toujours à l’affut pour refoutre le raffut. En réalité, là encore, c’est un énième appel passionné qui prime.
« I want to be loved / Everybody does »
Le clash tentaculaire de Danke n’y pourra rien, sa danse vaudou non plus, tout ceci n’est finalement qu’un grand cri d’amour.
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Ultra Mono – IDLES
Partisan Records – 25/09/2020
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Photo : Tom Ham