“Vaincre à Rome, ce serait comme vaincre mille fois”, a dit Hailé Sélassié. Vaincre pieds nus, c’est comme jouer sur les pistes des hauts plateaux abyssins.”
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#339966″]R[/mks_dropcap]ome, 10 septembre 1960. C‘est aujourd’hui que l’éthiopien Abebe Bikila, inconnu dans le milieu sportif, va décrocher la première place au marathon olympique et établir un nouveau record mondial. Il devient alors le premier athlète d’Afrique Noire médaillé d’or olympique, exploit d’autant plus incroyable qu’il court … pieds nus. Ce roman ambitieux d’un genre très particulier se déroule pendant les 2h15 et 16 secondes qui lui seront nécessaires pour parcourir les 42 km du parcours, et se compose des pensées de notre héros en temps réel. Sylvain Coher imagine les préoccupations et sensations immédiates d’Abebe Bikila, sa concentration autour du parcours, mais révèle également son passé, son entraînement et l’importance que revêt cette potentielle victoire pour lui et tout son pays.
A première vue, ce roman ressemble à un pari risqué. Comment ne pas ennuyer le lecteur en situant toute l’action dans un laps de temps aussi court, avec une activité comme la course de fonds qui connaît en général peu de rebondissements, et une histoire réelle dont on connaît le dénouement en lisant la quatrième de couverture ? Mais Sylvain Coher déjoue toutes nos attentes et réalise un véritable tour de force littéraire en nous offrant une lecture dont on ne peut décrocher qu’après être arrivé au bout des 176 pages qui la composent.
« Lire comme on court ; d’une seule traite en ménageant son souffle » : l’injonction de l’auteur au lecteur au début du livre donne le ton. C’est un roman qu’on lit sans interruptions, rapidement mais sans empressement, en économisant ses forces pour arriver jusqu’au bout. Sylvain Coher arrive à insuffler à son écriture les mécaniques et accélérations d’une course où les foulées de l’athlète nous emportent. Que l’on soit amateur de course à pied ou non, l’auteur parvient à nous transmettre les sentiments du coureur, son effort, ses difficultés et sa motivation. C’est un roman bourré d’adrénaline, qui nous fait regretter de ne pas connaître en détail la topographie de Rome pour suivre la course plus attentivement.
Le récit compact est entrecoupé de commentaires radio qui dépeignent les grand moments du marathon, ce qui nous donne à la fois l’occasion de respirer et reprendre son souffle, et de disposer d’un point de vue extérieur au narrateur et héros. Ce dernier, concentré sur sa course, ne connaît en effet pas exactement sa position et ignore avec précision ce qu’il se passe autour de lui.
Au delà de l’aspect sportif, le roman possède également un côté historique très intéressant. Cette course, c’est aussi la revanche d’un peuple. Celle de l’Ethiopie, défaite par les troupes fascistes de Mussolini un trentaine d’années auparavant, mais également celle de l’Afrique sur l’Occident, à une époque où les pays colonisés sont en voie de libération. Notre héros, ancien soldat, berger et coureur, rêve de remporter l’or pour couronner son continent de façon symbolique.
En résumé, Vaincre à Rome est un roman atypique doté d’un souffle épique dont on ressort la respiration coupée, hors d’haleine après avoir partagé l’effort de ce coureur. C’est également une oeuvre sur une période historique clé, où la décolonisation est amorcée et les sportifs africains aspirent à briller pour leur nation. Une oeuvre originale et forte dans cette rentrée littéraire !