Prenez deux garçons, jeunes, anglais, auteurs d’un premier album remarqué en 2013 (pensez donc : un album de drones avec des mariachis en couverture et un titre espagnol, Mas Fiestas Con El Grupo… c’est plutôt remarquable), coupez les de tout dans une villa, si possible loin de chez eux(en Italie par exemple). Mettez leur la pression en leur expliquant que s’ils n’accouchent de rien avant le délai imparti, ils subiront les vingt saisons de The Choice ainsi que les intégraux de Milka, Laurent Pagnini, Zizie et Jeunehiver avant de retourner dans leur Perfide Albion. Pour corser le tout, planquez leur leurs guitares et laissez leur du matos de cuisine à la place. Laissez mijoter deux mois donc et voyez ce qu’il en sort.
De sources sures, c’est l’étrange expérience qui a été tentée auprès de Vision Fortune par les gars, un tantinet pervers avouons-le, du label ATP qui venaient juste de les signer. Bizutage ? Expérience interdite ? qui sait.
Toujours est-il que le duo ne s’est pas démonté et a fini par livrer au bout de deux mois un des albums les plus déroutants de ce début d’année.
Exit les guitares donc (excepté sur Drunk Ghost, cousin éloigné de A Reflection de The Cure) et bienvenue dans un labyrinthe de samples, d’électro tordue, de drones et de percussions malsaines. Labyrinthe car ce qu’on en retient après plusieurs écoutes, ce ne sont pas les mélodies, presque aux abonnées absentes, mais cette sensation d’être complètement paumé dans une sorte de palais des glaces cauchemardesque où chaque réflexion vous affole et vous éloigne un peu plus de la réalité. On est ici en présence d’une musique arythmique (dans le sens imprévisible du terme), au pouls incertain, de quelque chose d’informe, glacial et oppressant sans véritable structure dont le squelette, le liant permettant de faire tenir cet édifice à peu près droit, serait le travail impressionnant sur les percussions et les drones.
Parce qu’il ne faut pas compter sur les voix (glaciales et martiales) ou sur les samples pour apporter un peu de chaleur à cet album très expérimental et atmosphérique qu’on pourrait rapprocher par moment des expérimentations arty d’un Scott Walker sans cette volonté de vouloir intellectualiser à outrance leur musique, ni la rendre inaccessible. Disons qu’ils utilisent parfois les mêmes procédés (à savoir utiliser les instruments les plus improbables – crosses de hockey, boites de foie gras – pour obtenir un son spécifique) mais on est plus proche sur Country Music de l’expérimentation instinctuelle de Liars (Drums Not Dead et Wixiw en particulier) que n’importe qui d’autre.
Rassurez-vous tout de même, au fur et à mesure des écoutes, on repère bien parfois des lambeaux de Post-Punk, quelques mélodies, de quoi s’accrocher un peu (Stalker, Dry Mouth, le formidable Black Crawl II) mais leur musique est tellement épurée, confinant presque à l’abstraction, que le sentiment général reste une impression d’être en contact permanent avec une surface lisse sur laquelle l’auditeur n’a aucun contrôle, se laissant ballotter au gré des humeurs du duo (et parfois, on ne comprend pas bien où on va. Pour preuve Habitat et Dry Mouth pour lesquels on serait incapable de se souvenir du chemin emprunté au début des morceaux). C’est souvent déstabilisant, inconfortable mais pour peu qu’on accepte le principe de perdre pied, les territoires explorés par Vision Fortune sont volontiers fascinants (parfois proches du Amber d’Autechre dans cette recherche de l’épure) et suffisamment mystérieux pour que l’auditeur ait envie d’y retourner dès que s’achève Black Crawl II.
Alors si vous aimez l’aventure dans les contrées glaciales de l’électro/drone et l’humour anglais (parce que pour faire une telle musique, choisir une photo n’ayant aucun rapport avec le contenu et un titre encore plus à l’ouest que la photo, il faut une bonne dose de folie et surtout d’humour. Ce n’est certes pas ce qu’on repère en premier chez eux mais ceux qui iront jeter un œil sur leur discographie et notamment l’artwork de leurs disques, se rendront compte que l’humour bien décalé fait partie intégrante de leur univers.), n’hésitez pas à vous précipiter sur cet excellent album.
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Sortie le 09 février chez tous les bons disquaires de France, et dispo via Caribous ou Rennes en Arctique ainsi qu’en Antarctique.