Il y a des auteurs qui soignent. D’autres qui fouillent. Voutch, pour sa part, est de ceux qui dissèquent. Avec une gouache parfaite et un humour sec comme un glaçon dans un whisky tiède, il poursuit, dans ses deux albums parus en 2024, son exploration chirurgicale des relations humaines. Ouragan sur le couple, compilation revue et redessinée de ses meilleures charges conjugales, et L’amour triomphe toujours constituent donc de nouveaux patchworks de scènes acides du quotidien.
« – Tu descends acheter du pain, tu disparais sans la moindre explication pendant 14 ans et demi et tout ce que tu trouves à dire à ton retour, c’est : la boulangerie était fermée ? »
─ Voutch, Ouragan sur le couple
On entre dans un album de Voutch comme on pousse la porte d’un salon bourgeois où tout sent trop bon la cire, la naphtaline et les conflits souvent passifs-agressifs. Le plafond est haut, les femmes minces comme des plumes, les hommes aussi virils qu’un poisson pané sans chapelure, et le malaise se boit en silence dans des verres en cristal. Sans démesure. Au contraire, tout est dans le sous-entendu et, sous leurs apparentes simplicités, ces vignettes méritent parfois une relecture pour délivrer tout leur génie.
La formule est pourtant simple. Une illustration en pleine page surplombe un dialogue ou une petite phrase qui intervient souvent en guise de joli contrepied. Un petit peu à la manière de ces délicates ballades au piano sur lesquelles l’interprète chante des horreurs. Sur ces deux recueils parus en 2024, Voutch s’attaque au couple, probablement son deuxième sujet préféré après le monde de l’entreprise.
Ainsi, dans Ouragan sur le couple, Voutch reprend les meilleures salves dépressivo-conjugales tirées de huit albums parus dans les années entourant le changement de millénaire. S’il s’agit d’un best-of, l’ensemble des vignettes a cependant été redessiné de manière efficace. Un lifting nécessaire car l’époque a changé et ce qui est percutant aujourd’hui ne l’était pas tout à fait de la même manière en 1997.
Cependant, les bases restent les mêmes. Les couples continuent de s’étriper pour des miettes d’amour et des ruines d’estime. Tout y passe : le désamour feutré, la petite cruauté du quotidien, la bataille pour la télécommande ou la gestion de l’enfant unique devenu ado fan de Flaubert et de kebabs. On rit beaucoup. Souvent jaune quand on se reconnaît dans l’un.e ou l’autre des personnages. Voutch possède cette rare capacité à faire apparaître la mesquinerie des rapports humains dans un raffinement de violence douce.
Dans L’amour triomphe toujours, la méthode reste la même, mais le terrain s’élargit : amis, collègues, relations sociales, amour-propre mal placé ou totalement assumé… Le cynisme de Voutch est ici d’autant plus jubilatoire qu’il flirte avec la tendresse. Oui, il y a des salauds, des peureux et des hypocrites — mais ils sont souvent victimes de leur propre solitude. Perdus dans un monde trop grand pour eux. L’humour y est d’autant plus cruel qu’il touche à quelque chose de vrai : l’effondrement progressif des grands sentiments face au quotidien, aux pulsions d’égo ou au management bienveillant.
Le style voutchien à base de décors épurés, teintes raffinées et corps filiformes est une signature désormais indissociable du dessin d’humour contemporain. C’est à la fois drôle et esthétique. Et cela sert toujours une réflexion, voire une introspection, chez le lecteur qui passe souvent du rire à l’interrogation : « et si cet individu ne révélait pas une partie de ma personnalité ? ».
Alors oui, l’amour triomphe toujours. Mais surtout chez les autres. Dans les albums de Voutch, il trébuche, il boit la tasse, il passe au détecteur de mauvaise foi. Et c’est ça qui fait du bien. Parce qu’on ne lit pas ces albums pour croire à l’amour. On les lit pour en accepter les imperfections.

