A la fin des années 80 Federico Pellegrini créait avec 4 compagnons d’infortune l’un des groupes français les plus essentiels de ma carrière d’auditeur. Échappés de la Gaubretière (85130) ils ont produits une cassette démo, 5 albums, un album de remixes, une B.O.F (Atomik Circus) et un best-of truffé de pépites. Des disques qui ont été à la fois la pierre angulaire de mes années universitaires et la pierre de touche de mes choix musicaux.
Les Little Rabbits, légendaire groupe nantais trop peu (re)connu, ont incarnés, pour moi, de 1988 au début des années 2000, ce qui se faisait de mieux, tout simplement.
Depuis leur séparation en 2005 Federico Pellegrini s’est amusé à incarner divers personnages, tous empreints de l’univers cinématographique américain (Baby Face Nelson, The French Cowboy). Il était alors logique qu’il soit approché par Western trio, combo « instrumentaliste » nantais, également. Et ce qui au départ ne devait être qu’une invitation sur quelques morceaux s’est transformé en projet artistique, Western était né.
Dans la typologie des antihéros, Federico Pellegrini serait classé dans la catégorie des héros « décalés », incarnant un personnage ordinaire, sans qualités manifestes, qui par les circonstances se trouve plongé dans une situation extraordinaire. C’est ce que nous avons pu découvrir dans les 2 teasers du groupe, annonçant la sortie de l’album.
C’est sur un rythme de bossanova que débute Western. Avec Stay nous prenons la route tranquillement. Sur des paroles annonçant le désir du groupe de nous plaire, Hope you stay for a while, la voix de Federico nous promet des vacances pour notre âme. Un voyage paisible nous attend et pourtant nous allons découvrir comment les projets du groupe sont bien différents de ceux affichés dans cette intro. En effet ils vont kidnapper nos âmes et les embarquer sans répit, et sans merci, dans un roadtrip cinématographique. Quelque part entre un road movie épique et un western spaghetti. John Ford meets Sergio Leone.
Music commence sur un petit air électro, la route semble continuer tranquillement quand soudain la Grand LeMans dérape et s’enfonce brutalement sur un chemin caillouteux. Nous quittons l’asphalte et le riff de guitare de Jean Jacques Bécam annonce un périple qui ne sera pas reposant. La suite du titre est une progression à la fois angoissante et excitante sur un rythme hypnotique imposé par la batterie. Comme dans le teaser, où Federico se dit séquestré, on ressent la pression insistant à rester, l’inquiétude et l’envie se mêlent, l’excitation l’emporte. Le titre se termine en apothéose comme si la voiture pilait net au milieu du désert et qu’on se retrouvait manu militari sortis de la Pontiac et jetés au sol. Ebêtés. Incrédules. Livrés en pâture mais à quoi ?
Money-Beat sont en fait 2 titres enchevêtrés. Money débute sur un beat qui n’est pas là pour nous rassurer. Une nappe de synthés évoque un espace infini où rien ne semble survivre. Le corps s’abandonne pourtant, et sous le regard des ravisseurs la transe nous prend et l’envie de danser avec elle.
You make me realize / Do what you gotta do / The body should know / Take me as I am /Do what you gotta do / Anything you can
Arrivé à la césure entre Money et Beat le rythme se fait encore plus prenant, les corps sont habités, ils sont sous emprise. L’ambiance est torride mais ça suinte le drame, la claque finale nous ramène à la réalité. Nous sommes captifs de cette bande de cinglés.
Breathe est un hymne désespéré. Le chant du cygne que nous entonnons face à nos ravisseurs.
I wish I were a butterfly/ … /Cause One day is just enough … for the big screen/ Staring one second/ Then disappear
La voix enfiévrée de Federico Pellegrini accompagnée par les guitares atmosphériques construisent progressivement un univers fortement émotionnel. Des notes électros viennent émailler l’ensemble puis la batterie passe au premier plan pour nous porter hors des flots où nous nous enfoncions et nous amener vers un final au dessus de la ligne de flottaison. La fin tragique que nous pressentions au début du film a laissé place à une vision plus réjouissante des intentions du groupe.
Feel et Dive sont de nouveau 2 titres enchevêtrés. Comme sur Money–Beat les choeurs des Spectorettes apportent de la douceur aux compositions. Jamais la voix et les paroles de Federico ne se seront aussi bien accordées à la musique. Les paroles de Feel semblent chantées comme à l’envers, le rythme accompagne ce retour en arrière, on remonte la bande cinématographique comme pour voir le « film » sous un autre angle. Feel the Beat, Dive for the Money. Après les ambiances tendues et agitées du début de l’album c’est le temps de l’apaisement qui se poursuit sur Silent, aussi calme et planant que Music était hystérique et dansant. Tout est bien qui finit bien.
Same Song en guise d’épilogue, et son intro tonitruante à la desert-rock, replante le décor, le contexte dans lequel le groupe semble avoir créé ses morceaux. Dans une tension permanente entre 2 univers qui ne se rencontraient pas. Western les a unis et crée un transgenre musical qui pourrait porter leur nom, le Western-rock.
Western trio élargit ici le champ dans lequel le French Cowboy évoluait et lui offre un cinéma à la mesure de son talent. Dans des compositions extrêmement maîtrisées musicalement, d’une variété impressionnante (bossanova, jazz, électro, dance, newwave, rock, post-rock, country, americana) mais dans un ensemble ultra cohérent, le groupe offre un cadre panoramique à son (anti-)héros. Brillant et captivant, encore un projet passionnant du Lapin qui je l’espère fera de nombreux petits.