[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]année dernière à la même période les éditions Monsieur Toussaint Louverture avaient publié un O.V.N.I littéraire venu de Lituanie Vilnius poker de Ricardas Gavelis, un roman fleuve un peu oublié depuis sa sortie et traduit au bon soin de l’éditeur, sorte de cri d’un peuple opprimé pendant l’occupation soviétique, un roman construit en trois parties imprégnées de la paranoïa du narrateur.
La maison dans laquelle est aussi un roman à part, un peu du même acabit que le roman cité plus haut. Mariam Petrosyan est née en 1969 à Erevan, elle a tout juste dix huit ans quand elle commence à dessiner les contours des personnages qui trottent dans sa tête avant de les mettre à l’écrit dans un texte qui va mettre plus de dix ans pour prendre tout son essor. L’auteure ne souhaitaient pas vraiment en faire un livre en vue d’une publication, mais seulement faire partager cette expérience d’écriture, ce laboratoire où voguait son imaginaire, à des amis proches qui se sont passés le texte. C’est seulement quinze ans plus tard que le manuscrit tombe dans les mains d’un éditeur, réticent au début, qui le lit, le dévore et le publie dans la foulée. Le livre remporte de nombreux prix et devient un roman à succès inattendu, tout un pan de la jeunesse russe (et tant d’autres) va se reconnaître. De l’aveu de l’auteure, la publication du livre a fait qu’elle s’est sentie dépossédée de son texte comme si la suite du titre La maison dans laquelle aurait pu être complété par je me sens chez moi, se sentant incapable d’écrire une autre histoire.
Dès les premières pages le lecteur sent qu’il est au seuil d’une étrange expérience aussi fascinante qu’inquiétante. C’est un roman où il faut se laisser happer, se laisser emporter dans ce labyrinthe parfois cauchemardesque et violent mais si envoûtant. La Maison est une sorte de refuge un peu perdu au milieu de nulle part. Pour y accéder il faut en être élu, montrer patte blanche pour en être accepté. Une fois à l’intérieur il faut vous trouver un surnom qui sera votre identité aux yeux de tous les autres, un sobriquet caractérisant votre physique ou un trait de votre caractère. Le novice doit alors intégrer l’idée qu’il y a une hiérarchie bien établie. Il y a le groupe des Rats, des Oiseaux, les Chiens, et tant d’autres à découvrir quand l’on gravite dans la Maison et que l’on traverse les pièces et les dortoirs. Il faut ruser et aiguiser une stratégie pour être défendu de certains plutôt vertueux et non par d’autres qui au contraire font preuve d’un certain machiavélisme, afin d’y faire sa place, c’est une loi de la jungle impitoyable, il faut s’endurcir pour s’en sortir, le temps de l’innocence de l’enfance est un temps bien révolu, mais peut être qu’à l’extérieur de la Maison se serait pire, bien pire. Les pensionnaires sont des rejetés de la société civile par leur handicap, la Maison est une seconde chance. Dans cette sorte de Sa majesté les mouches plus sombre, les protagonistes grandissent plus vite que d’accoutumé même si la notion de temps s’est dissipée, que pourrait-il advenir d’eux une fois l’âge adulte atteint ?
C’est aussi un texte poétique et puissant sur nos peurs, face à l’altérité terrifiante qui peut nous apprendre beaucoup de choses sur nous même, il suffit d’apprendre à faire la connaissance de l’autre pour ne plus en être effrayé.
La maison dans laquelle de Mariam Petrosyan traduit par Raphaëlle Pache, éditions Monsieur Toussaint Louverture.