XXI, 6 Mois, Feuilleton, Le Believer, Jef Klak, Charles, Décapage et Schnock sont quelques-unes des revues qui ont fait leur apparition il y a plusieurs années, sous une forme sensiblement différente de celle à laquelle nous étions jusqu’ici habitués. Grand format, beau papier, bonne tenue des articles et illustrations soignées semblent caractériser l’ensemble de ces nouvelles publications qui modifient notre rapport à l’actualité, à la littérature et au reportage.
A l’occasion de la parution du numéro 2 de Citrus, nous avons posé quatre questions à Chloé Marquaire, directrice artistique de cette excellente revue, pour en savoir davantage.
Comment le projet Citrus est-il né ?
Lorsque nous avons créé les éditions l’Agrume, dont le catalogue est construit autour de l’illustration contemporaine, nous voulions également publier une revue dans laquelle publier des illustrateurs dont nous aimons le travail, mais avec lesquels il n’y aurait pas forcément de possibilité de réaliser un ouvrage. Après une première année d’existence, nous nous sentions en mesure d’envisager ce projet ambitieux et l’angle de la thématique unique s’est imposé comme une évidence au fil de nos réflexions, car nous voulions que Citrus se distingue, s’adresse à tout le monde, surprenne en proposant un traitement original de grandes thématiques de société.
Quels sont les objectifs de la revue ?
Nous voulons en premier lieu que Citrus soit d’une qualité graphique exceptionnelle. Que lorsqu’on la feuillette, on soit d’abord séduit par les illustrations, l’objet, la maquette, son format et son papier.
Ensuite, nous voulons que le thème soit traité de manière exigeante, étonnante, passionnante. Notre première envie est d’embarquer le lecteur dans des récits, de le faire sourire, de lui apprendre des choses, de lui faire lire des choses qu’il n’aurait pas lues.
Comment pourrait-on en définir la ligne éditoriale ?
Si on résumait Citrus en quelques mots ce serait : des histoires et de belles illustrations. Mais, bien que cela construise notre ligne éditoriale, c’est plutôt une finalité qu’une motivation. Ce qui nous plaît dans Citrus, c’est d’explorer un thème, de vivre avec pendant des semaines, de faire évoluer nos idées par nos rencontres avec les auteurs, avec les amis, les libraires ou toutes les personnes à qui on en parle pendant ces semaines de réflexion au cours desquelles s’élabore le sommaire.
Comment choisissez-vous les sujets ?
Nous voulons des thématiques identifiables tout de suite. Des thèmes universels, qui parlent à tout le monde, qu’on a l’habitude de voir traités dans les médias, la littérature. Des thèmes sur lesquels nous pouvons poser un regard à la fois très sérieux et moqueur, un thème dans lequel on va partir en exploration pour dénicher des petites pépites qu’on aimera faire partager aux lecteurs. Pour les articles qui composent les numéros, nous travaillons de deux façons. D’abord, nous élaborons un sommaire, en passant par de nombreuses réflexions, faisant des choix à la fois sur les sujets mais aussi sur la manière dont on a envie qu’ils soient traités (bande dessinée, témoignage, reportage, littérature, sociologie…). Ensuite on échange avec chaque auteur mais en les laissant s’approprier au maximum le sujet. Et il y a aussi des articles qui arrivent au fil du temps grâce à des auteurs qui ont su que nous travaillons sur un thème particulier et qui nous présentent des sujets.
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Parmi les articles au sommaire de ce numéro consacré aux faits divers, qui aborde en 200 pages et dix-huit chapitres tous les aspects de ces événements du quotidien pour lesquels le grand public semble s’être toujours passionné, voici ceux qui ont tout particulièrement retenu mon attention.
Le Venezuela, à feu et à sang, très beau texte sur la violence et l’incapacité des Présidents successifs à l’endiguer, recèle des informations capitales pour comprendre la manière dont les habitants de ce pays d’Amérique latine s’adaptent au fléau qu’est la criminalité ordinaire.
Le Crime imparfait, reconstitution, en images et en mots, d’un triple meurtre à témoin unique, explique l’importance de la morphoanalyse dans l’étude des scènes de crime et se présente comme une énigme que le lecteur tente de résoudre à mesure qu’il découvre les détails de l’affaire.
Morts insolites propose le portrait graphique de neuf victimes du hasard, de l’absurde ou de leur propre maladresse. C’est drôle, tragique et visuellement très réussi.
Sagawa le cannibale revient sur le célèbre Japonais qui mangea son amie Renée Hartevelt (dont Nicole Caligaris a fait le sujet de son livre, Le Paradis entre les jambes) et semble poser la question de la responsabilité des meurtriers et de la fascination du public pour leurs crimes, fussent-ils barbares.
Le traitement médiatique du fait divers n’est pas oublié, avec Les Médias, colporteurs du fait divers, indispensable article de Philippe Merlant, qui insiste sur la manière dont les affaires criminelles sont relayées dans les media, générant parfois un climat de peur injustifié dont l’impact sur la vie politique peut se révéler significatif, comme ce fut le cas en France en 2002, au moment des élections présidentielles.
Anthony Pastor raconte quant à lui, dans Affaire de couple, une superbe nouvelle en bande dessinée, l’histoire d’un privé qui s’efforce de retrouver un disparu, dont la femme paraît incapable de vivre sans lui. Mêlant habilement la tension liée à l’enquête et les états d’âme du détective, l’auteur aborde les thèmes de la fuite et du quotidien avec une justesse troublante.
Au final, c’est le rapport du fait divers au cinéma, à la littérature, à l’imaginaire collectif et à l’Histoire, ainsi que son inscription dans l’actualité qui sont brillamment traités dans ce numéro.
Citrus nous aide à mieux comprendre le monde et sa spécificité réside, à mon avis, dans son intéressante variété formelle : les sujets ne sont pas tous présentés de la même manière, et c’est ce bel équilibre entre mots et images, textes sociologiques ou littéraires de très grande qualité et illustrations magnifiques, qui assure la cohérence de cette publication dont on attend déjà le prochain numéro avec impatience.
Citrus numéro 2, Faits divers, L’Agrume, octobre 2014
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