[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#599596″]P[/mks_dropcap]armi les grands noms de l’horreur italienne du siècle passé, Lucio Fulci fut un artisan du macabre un peu trop injustement oublié. Souffrant sans doute de la comparaison face aux maîtres du genre que sont les Bava et les Argento, le réalisateur de L’Au-delà nous a pourtant laissé une œuvre singulière au sein de ce si riche et dense cinéma bis italien.
Né à Rome en 1927, Lucio commença sa carrière dans l’industrie du cinéma italien avec les plus grands : élève de Visconti et Antonioni, il fut aussi assistant-réalisateur pour Marcel L’Herbier sur Les Derniers Jours de Pompéi. Par la suite, il mena une collaboration fructueuse avec Steno (Stephano Vanzina) pour lequel il écrit les scénarios de nombreuses comédies comme Un Americano a Roma (1954) avec Alberto Sordi, acteur emblématique de la comédie à l’italienne.
Le Romain passe ensuite derrière la caméra à la fin des années 1950 avec notamment Ladri qui met en vedette Totò, un autre grand nom du cinéma populaire italien d’après-guerre. Lucio Fulci s’essaya ensuite à divers genres comme le western Le Temps du Massacre (1966) avec Franco Nero. Un film plutôt cru qui préfigure son style. Il s’illustra aussi dans le mélodrame historique avec Lien d’amour et de sang (1971), une adaptation de la vie de Beatrice Cenci, une noble italienne du XVIe siècle qui assassina son père incestueux. Un échec commercial mais où Fulci assume pleinement le sadisme, très latin, qui marqua au fer rouge le reste de son œuvre.
En effet, le transalpin délaisse alors la comédie et le western pour se consacrer quasi-exclusivement au giallo. Ces fameux polars baroques, précurseurs des slashers, qui s’installèrent dans le paysage cinématographique italien au tournant des années 1970. Des films comme Perversion Story (1969), Le Venin de la peur (1971), La Longue Nuit de l’exorcisme (1972) et L’Emmurée vivante (1977) s’inscrivent dans cette période giallo du cinéaste.
Avec cette exercice Fulci peut laisser libre cours à ses fantasmes macabres et morbides. Des films qui, comme ceux d’horreur qui suivirent ensuite, semblent être tous le même, le cinéaste répétant les mêmes motifs qu’il s’amuse à faire varier. D’aucuns n’y virent que des séries B particulièrement kitsch, à la technique douteuse, aux acteurs médiocres et surtout aux scénarios absurdes et incohérent. En effet, comme chez Bava et Argento, le récit est superfétatoire. La trame est au service de la mise en scène et à la construction d’une ambiance onirique et baroque totalement singulière.
Son giallo le plus réussi est probablement L’Emmurée vivante avec Jennifer O’Neill. Énième histoire de clairvoyante qui tente d’empêcher un meurtre, Fulci mêle fiction et réalité alors que son héroïne tente de comprendre le sens de ses visions. Le montage et l’ambiance ne sont pas sans rappeler le chef d’œuvre de Nicolas Roeg, Ne vous retournez pas.
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À l’instar de Dario Argento avec Suspiria et Ténèbres, Fulci va ensuite suivre le chemin de l’horreur fantastique à la fin des années 70. Une période qui marque l’apogée de sa carrière. Surfant sur le succès de Dawn of the Dead, Zombie 2 ou L’Enfer des Zombies, sorti en 1979, est le premier remake officieux produit par le cinéma bis italien du cinéma de Romero.
Sans avoir la portée satirique du film original, Fulci déplace son intrigue dans les Antilles et compose un poème macabre et putride. Très sanguinolent, le film doit beaucoup aux maquillage et effets de Giannetto de Rossi. En outre, L’Enfer des Zombies revient à la source du mythe zombie, le vaudou, comme dans le film matriciel et éponyme de Jacques Tourneur en 1943. Une œuvre qui influença certainement les artisans du gore potache américain des années 1980 comme Sam Raimi et Peter Jackson. Pour autant Fulci, malgré certains aspects triviaux et absurdes, on pense notamment à cet incroyable combat sous-marin entre un zombie et un requin, ne cherche pas à faire rire.
Très dépressif, le cinéma d’horreur de Fulci est toujours mû par une inéluctabilité et un fort sentiment nihilisme mais aussi empreint d’un lyrisme certain que souligne les sublimes partitions de Fabio Frizzi.
Par la suite, et toujours dans cette même veine horrifique, Frayeurs, sorti en 1980, constitue une sorte de réponse au Suspiria d’Argento. Film choral complètement incohérent, le Romain réalise ici son film le plus gore. D’inspiration lovecraftienne, Frayeurs nous narre toujours ce même motif narratif qu’il répète et va encore répéter ensuite : celui du combat d’une voyante qui tente d’empêcher l’apocalypse mort-vivant déclenché par un prêtre, ersatz de Christopher Lee. Derrière sa technique et sa mise en scène douteuse, Frayeurs est surtout un poème sépulcral et putride.
Enfin, grâce aux succès commerciaux accumulés ces dernières années, ce petit artisan de l’horreur va réaliser son chef d’œuvre, L’Au-delà (1981) et peut à ce moment-là de sa carrière, regarder Argento droit dans les yeux. Avec toujours et encore cette même histoire de voyante, incarnée par Catriona MacColl, témoin de l’invasion future des enfers, L’Au-delà propose aussi et surtout une superbe transposition des univers de Poe et Lovecraft au sein de la Nouvelle-Orléans.
Jouant comme toujours sur la confusion entre réel et fictif, entre morts et vivants, cette synthèse du cinéma de Fulci opère grâce aussi à tous ces talentueux collaborateurs sus-cités: la musique envoutante de Frizzi, les maquillages de De Rossi et surtout la photographie gothique de Sergio Salvati. L’Au-delà culmine avec son plan final, peut être le plus beau de tout le cinéma d’horreur italien.
Après une dernière incursion dans l’horreur, La Maison près du cimetière, sorti la même année, la carrière de Fulci déclina à partir de 1982. Affaibli par la maladie, il réalisa par la suite surtout des films pour la télévision.
Diabétique, il oublie de prendre son insuline et décède mystérieusement en 1996. Il nous quitte en nous laissant orphelin de sa collaboration avec un Dario Argento producteur, sur Le Masque de Cire, la première entre les deux hommes. Le film finalement réalisé par Sergio Stivaletti est dédié à Lucio Fulci.