[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]1967[/mks_dropcap] : l’album jeunesse « Where the wild things are », publié en 1963 aux États-Unis, connaît sa première traduction française.
1967 : une révolution est en route, menée par quelques auteurs-frondeurs, visiblement plus intéressés par l’enfant lui-même que par le baragouin psycho-pédago- moralisateur des adultes qui l’entourent, un peu trop à leur goût. Ces artistes se nomment -entre autres- Tomi Ungerer (The Three Robbers – 1961), Rémy Charlip (Fortunately – 1964), et pour celui qui nous concerne : Maurice Sendak. Les narrations explosent, les sujets se font féroces, les morales semblent suspectes… On bouscule les codes et ce n’est pas du goût de tout le monde.
1967 marque donc la naissance de ce que nous connaissons sous le nom de Max et les Maximonstres, ouvrage monstrueux, peuplé de monstres monstrueux, d’enfants monstrueux, et de parents monstrueusement absents. Sa maximajesté des mouches en quelque sorte.
« Ce qui m’intéresse, c’est ce que font les enfants dans ces moments particuliers de leur vie où il n’y a ni règles ni lois, où ils ignorent émotionnellement ce que l’on attend d’eux. » (1)
« Les réalités de l’enfance remettent sérieusement en question les notions à moitié fausses qui peuplent certains livres pour enfants, ceux qui offrent une vision dorée du monde (…) un monde fabriqué par ceux qui ne peuvent –ou ne veulent pas se rappeler la vérité de leur propre enfance. Cette vision expurgée n’a pas de rapport avec la façon dont les enfants vivent en vrai. J’imagine que ces livres ont une certaine fonction : ils n’effraient pas les adultes (…) » (2)
En effet, Maurice Sendak se méfie des interprétations faussées des adultes, mais c’est un observateur :
« Au début de mon adolescence, je passais des centaines d’heures à ma fenêtre à dessiner les enfants de mon quartier en train de jouer. Je faisais mes esquisses tout en les écoutant, et ces carnets sont devenus le creuset de mon œuvre à venir. » (2)
Avec Max, c’est toute une conception de l’enfant qui se modifie : Maurice Sendak le clame facilement, il n’a que faire des idées des adultes sur le contenu des albums-jeunesse. Ses albums ne s’adressent pas aux adultes. S’adressent-ils pour autant aux enfants ? A peine :
« Malgré le fait que je n’écris jamais en pensant aux enfants, j’ai découvert depuis bien longtemps qu’ils constituent le meilleur des publics. Ce sont eux qui font les critiques les plus pertinentes. Ils sont plus candides et plus perspicaces que les critiques professionnels. » (3)
Mais alors… A qui parle Sendak pour que le propos de son album, loin des discours moralisateurs et des tentatives psychologisantes, s’avère si juste et et s’adresse si pleinement – presque aux dépens de l’adulte – à son jeune lecteur ? C’est que Sendak se fait fort de parler avant tout à l’enfant qu’il fût lui-même. A propos d’un autre album, Quand papa était loin, il dit :
« A cette époque, j’étais encore jeune, je sentais que je devais ‘résoudre’ ce livre, que je devais plonger en moi-même aussi profondément que possible : du travail d’excavation. Les Maximonstres aussi a été un travail de forage, mais j’ai réussi à remonter, comme un mineur qui ressort juste avant l’explosion. » (3)
Et ailleurs :
« J’aime beaucoup les enfants. Et quand je dis que je n’écris pas pour eux, cela ne signifie pas que je ne les aime pas. Je ressens à travers mes musiques et mes films préférés une nostalgie intense de l’enfance, une affinité profonde avec l’enfance (…) C’est ce genre d’échos qui entre en moi et nourrit mon travail. » (1)
Et donc, en 1967, que se passe-t-il ? Et bien, contrairement à ce qu’on a pu croire a posteriori, la sortie de cet album hors-norme suscitera en France une… formidable indifférence !
En effet, bien que couronné de succès et adoubé par la profession dans son pays d’origine (Sendak reçoit la Caldecott Medal pour les Maximonstres dès 1964), l’album de Sendak sèmera suffisamment de trouble dans l’esprit des critiques de littérature jeunesse de 1967 pour que ceux-ci décident avec un brin de lâcheté bienveillante d’ignorer l’ouvrage… Par le bouche à oreille, cette première édition des Maximonstres sera toutefois épuisée aux alentours de 1970, ce qui laisse supposer un certain succès.
Il faudra la réédition de 1973 à L’École des Loisirs – soit 10 ans après la première parution – pour que Max et les Maximonstres rencontre en France la reconnaissance qu’il mérite et accède à un statut d’œuvre littéraire majeure, depuis déclinée en opéra et en film.
(On peut lire à ce sujet l’article « La réception française de Max et les Maximonstres : retour sur une légende » d’Isabelle Nière-Chevrel)
——————————————————————————————————–
Sources des citations :
(1) Discours pour la Rosenbach Musem and Library, 1985.
(2) Discours de réception de la Caldecott Medal, 1964
(3) Interview par Roger Sutton, rédacteur en chef du Horn Book Magazine.
Ces citations sont tirées de l’ouvrage « Tout sur votre auteur préféré – Maurice Sendak » édité à L’École des Loisirs.
Max et les Maximonstres de Maurice Sendak, traduit de l’anglais (États-Unis) par Bernard Noël, L’école des Loisirs, 1967.