Les conseils de GringoPimento
L’agneau des neiges – Dimitri Bortnikov
Paru chez Rivages, août 2021
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[dropcap]U[/dropcap]n styliste, Dimitri Bortnikov en est un, sans conteste. D’origine russe, il écrit en français depuis quelques années et Face au Styx a été élu prix du meilleur roman français par le magazine Lire en 2017. En soi, c’est déjà remarquable. Ce qui l’est encore plus à mes yeux ? Sa capacité à embrasser une langue qui n’est pas la sienne et à réussir à la soumettre, à la triturer, à en faire un ensemble neuf. J’ai eu parfois l’impression de lire Céline dans sa logorrhée, d’autres fois David Peace dans ses répétitions ou ses obsessions et un petit peu de Jonathan Safran Foer, celui de Tout est illuminé. De sacrés références, vous en conviendrez.
Alors ces mélanges de style, il faut arriver à s’y habituer, à se laisser prendre par des phrases longues, courtes, par ce passage systématique de l’un à l’autre. Ces points d’exclamation incessants qui rythment le récit.
De toute façon qui pourrait résister à cet incipit ?
Au début ce n’était pas le Verbe. Au début était la mère.
Ça a commencé par une naissance sans un cri. Une naissance silencieuse … Maria a vu le jour quand la Révolution s’est mise à table pour dévorer ses enfants. Et plus elle mangeait- plus elle avait faim.
Voilà qui donne une petite idée de la noirceur de L’agneau des neiges et de sa magnificence aussi. Les phrases chocs comme celle là y sont légion. Sa poésie morbide vous saisit et ne vous lâche pas, vous fait frissonner, pleurer ou vous éblouit de par sa beauté. Accrochez-vous tout de même pour suivre la pauvre vie de Maria qui si elle nait sans un cri, nait également infirme. Pourtant, de volonté en dévouement, elle survivra à beaucoup d’épreuves, séparée de sa famille, recueillie par la femme de son pope, sa marraine qui lui enseignera beaucoup et lui parlera au delà de la mort.
Les pages sur le siège de Stalingrad pendant la seconde guerre mondiale et sur la famine sont à la fois éblouissantes et horribles. Maria se retrouve terrée dans une cave, isolée du monde avec une douzaine d’orphelins dont elle avait la charge. Commence alors une symphonie poétique de la faim qui nous emmènera jusqu’au dénouement de cet extraordinaire roman.
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Le souffle du géant – Tom Aureille
Paru chez Sarbacane, avril 2021
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[dropcap]E[/dropcap]n 2007, Cyril Pedrosa émerveillait le monde de la BD et les lecteurs avec son Trois ombres, œuvre à la fois sombre et lumineuse par certains côtés.
En avril dernier, sur une thématique qui ressemble assez à Trois ombres, Tom Aureille proposait une bande dessinée nommée Le souffle du géant.
Si, à ma lecture, l’ombre de Pedrosa restait présente, cela ne m’a finalement pas gêné et j’ai été tout aussi transporté par l’œuvre d’Aureille que par celle du premier cité.
Si je devais donner un petit bémol, ce serait que chez Pedrosa, l’absence de couleurs et le choix du noir et blanc rendait l’histoire encore plus rude. Chez Tom Aureille nous avons un récit en couleurs même si elles restent plutôt sombres -beaucoup de l’histoire se déroule la nuit- ou encore neigeuse, rendant l’histoire froide. Dans une bédéthèque idéale, ces deux histoires seraient rangées l’une à côté de l’autre.
Passé ce long prologue, de quoi nous parle Tom Aureille ? Deux soeurs, Sophia la cadette et Iris, l’aînée, partent en recherche.
Iris ?
Mmh ?
Tu penses qu’ils existent vraiment ?
Oui, j’en suis sûre. C’est juste que les gens ne croient plus aux histoires des anciens. La carte va nous permettre de trouver le Géant, et la pierre d’activer la force…
Et de faire revenir Maman.
Le sujet est planté. La mère des petites filles a disparu. Elles veulent la faire revenir et pour cela se lancer à la rechercher des géants. Elles ont pour elles des sortes de pouvoirs extraordinaires, une carte et une pierre magique donc.
Chemin semé d’embûches et de rencontres. Le souffle du géant a tout d’une grande épopée, magique, fantastique, inquiétante et surprenante à la fois.
Pour une première œuvre, on peut dire que Tom Aureille frappe très fort. On attend avec impatience sa prochaine livraison.
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Les conseils d’Adrien
Mérite – Annabelle Allouch et Émancipation – Federico Tarragoni
Paru chez Anamosa, 2 septembre 2021
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[dropcap]L[/dropcap]es deux derniers titres de la collection Le mot est faible des éditions Anamosa sont plus que jamais inscrits dans une analyse des fondements de notre société ultra-libérale. Mérite d’Annabelle Allouch et Émancipation de Federico Tarragoni parlent finalement d’une même idée, celle de l’évolution des individus au sein d’une société où la valeur du travail ne semble jamais être remise en question.
Federico Tarragoni détricote le terme d’émancipation dénaturé par une conception ultra-libérale. Le sociologue démontre que l’émancipation fut tout d’abord une lutte sociale avant de finir dans la bouche de celles et ceux qui veulent en faire un idéal créé par les bienfaits du capitalisme. Ce livre tente de rétablir l’émancipation dans l’idée qu’une personne opprimée a comme objectif de lutter contre ce qui le cloisonne. L’émancipation n’est pas, contrairement à ce que laisse penser la plupart des discours des puissants, une capacité à s’épanouir par l’effort.
Dans cette même idée de rétablir un sens au mot, Mérite d’Annabelle Allouch parle à la fois de fait très précis et de son récit personnel. Le mérite est le fondement de notre société et construit la façon dont nous réfléchissons l’éducation. Annabelle Allouch constate que le mérite est perçu différemment selon sa catégorie sociale. Si un jeune ouvrier immigré démontre une fidélité à son travail, ce ne sera pas la même idée du mérite que celle des adeptes de la théorie du ruissellement et des « premiers de cordée ».
Chacun de ces deux livres redonne un sens à des termes qui fondent notre perception de la réussite sociale. Le néo-libéralisme a corrompu leurs sens puisque le nivellement des classes sociales y reste très important. Le mérite et l’émancipation sont devenus des valeurs à double tranchant, récupéré par les dominants pour en faire un nouvel outil d’oppression. Avec les textes d’Annabelle Allouch et Federico Tarragoni, nous avons les clés pour se les réapproprier, refonder les valeurs qu’ils véhiculent pour penser notre société de manière plus égalitaire.
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Les conseils de Dominique
Pico Bogue – Sur le chemin par Dominique Roques et Alexis Dormal
Paru chez Dargaud, Septembre 2021
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[dropcap]C[/dropcap]’est le 13e du nom, le 13e tome ! Le philosophe, jeune et facétieux Pico Bogue est de retour dans ce nouvel opus de Dominique Roques (scénario) et Alexis Dormal (dessin) avec ce titre : « Sur le chemin » (Dargaud). Comprenez qu’il s’agit là du chemin qui conduit à la violence. Et figurez-vous que tout commence par… déraciner une carotte. Le fait même d’arracher un organisme vivant à la terre n’est-il pas, certes utile à la survie de l’humanité, mais aussi intimement violent ?
Vaste question qui pousse Pico, sa sœur Ana Ana et ses copains à disserter à l’infini sur cette question, existentielle. Enfin presque, car l’exposé en classe qu’en fera Barnabé finira par mettre tout le monde d’accord, jusqu’à susciter un… violent applaudissement. Comme toujours, le message délivré par les enfants n’est pas trop appuyé mais bien présent, apportant à la BD, dont les couleurs sont à la fois tendres et réconfortantes, une saveur drôle et instructive.
Cette bonne humeur contagieuse et salutaire s’exerce sur nombre d’autres sujets poussés par les auteurs. Ainsi donc, pourquoi dit-on « bête comme ses pieds » ? Et « pourquoi les parents ne donnent-ils pas plus d’argent à leurs enfants » ? Ou bien encore, est-ce que les enfants jouent à la guerre pour imiter les adultes ou bien est-ce que ce sont les adultes qui, pour rester jeunes, copient les enfants jouant à la guerre » ? Méditez chers lecteurs et chères lectrices.
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Il faut flinguer Ramirez – Tome 2- Nicolas Petrimaux
Paru chez Glénat, Décembre 2020
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[dropcap]T[/dropcap]Tu aimes quand ça flingue à tout va ? Tu adores quand Chelsea Tyler enlève haut, le milieu et le bas ? Tu raffoles aussi des fausses pub mais, ce que tu préfères par-dessus tout, ce sont les marques d’électroménager, sans leur service après-vente ? Alors cette BD est faite pour toi ! « Il faut flinguer Ramirez » de Nicolas Petrimaux (Glénat) rassemble tous ces ingrédients, façon puzzle.
L’acte 1 sorti en 2018, qui a cartonné, bénéficie depuis un an d’un acte 2. On ne résiste pas au plaisir de t’en parler ici, même avec un peu de retard. En effet, il serait vraiment dommage que tu passes à côté des aventures du meilleur expert en aspirateur de tous les temps. Ce génialissime ingénieur de la Robotop n’est autre que le timide mais très recherché Jacques Ramirez. Celui-ci aurait trahi le cartel de Ramon Pérez, lequel a l’intime conviction qu’on lui a fait à l’envers. Et ça, Ramon il n’aime pas du tout. Voilà pourquoi il a lancé une véritable chasse à l’homme. De son côté, la police de Falcon city aimerait bien poser quelques questions à Jacques Ramirez, qu’elle pense impliqué dans un attentat.
Ça y est ? T’as digéré toutes les infos et tu suis le tempo ? Tant mieux ! Car ce big bazar se déroule sans compter l’intervention d’un étrange personnage à la gâchette facile ! Bref, on ne s’ennuie pas une seule seconde à la lecture de cette bande-dessinée savamment mise en scène, truffée de références rigolotes et qui témoigne, comme le souligne lui-même l’auteur sur ses réseaux sociaux, « d’une vision légèrement critique sur notre monde, nos modes de consommation excessive ». Explosif autant que jouissif, « Il faut flinguer Ramirez » se déguste sans modération.
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Le conseil de Barriga
Mamba point Blues – Christophe Naigeon
Paru chez Presses de La cité, Août 2021
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[dropcap]I[/dropcap]l y a un souffle romanesque qui nous tient en haleine dans ce roman fleuve passionnant et richement documenté. Nous suivons les pas de Jules Canot, lors de la démobilisation de la Première Guerre Mondiale sur le front belge. Le jour, l’attente est longue avant de savoir quel sera son sort et de repartir aux États-Unis dans l’indifférence générale, les lauriers de la gloire sont réservés aux « blancs ». Batteur de jazz noir dans un groupe de big band le soir, il rencontre Sigfrid, son grand amour. Cette histoire est le fil conducteur de ce roman qui ne se résume pas à une simple romance sentimentale, se serait trop facile. Il s’agit pour notre personnage si attachant de partir en quête identitaire sur son passé lié à l’émergence d’une nouvelle nation, le Liberia, qui naît dans une utopie salutaire mais qui finira mal. Tour à tour joueur de jazz devenu célèbre, amant de Joséphine Baker, aventurier à ses dépends, nous connaitrons avec lui une révélation finale touchante.
C’est un livre qui se dévore du début jusqu’à la fin, tambour battant. Aucun temps mort, toute une époque nous est restituée avec précision. Les personnages secondaires apportent des sujets transversaux intéressants et donnent un contraste en équilibre comme des pauses sur l’intrigue, pour mieux repartir et nourrir ainsi notre envie de connaître le dénouement. La ségrégation raciale, l’avant garde du féminisme, l’esclavagisme du XIXème siècle sont des thèmes abordés en filigrane. Un peu passé à travers de cette dernière rentrée d’automne, pourtant c’est un livre qui mérite toute notre attention pour le plaisir de parcourir toute une période avec un héros très discret et humble.
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