[dropcap]L[/dropcap]orsque paraît son premier album à la fin de l’été 2000, Damon Gough n’est plus un perdreau de l’année. À 31 ans, le songwriter du Lancashire a déjà publié cinq EPs et fraye avec des musiciens dont la renommée a franchi le Channel comme Andy Votel ou les Doves. Il est même apparu en 1998 comme un des guest vocalists sur Nursery Rhyme, la comptine énervée du premier album d‘UNKLE.
Surtout, il a sorti son morceau signature, Once Around The Block, paru l’année précédente. Un truc tourneboulant qui, à partir d’une base bossa-jazz up-tempo, débouche sur un entrelacs de chœurs galvanisants. Ce n’est donc pas un pseudo vaguement auto-dépréciatif ni un look tout sauf glamour comme sorti d’un film de Ken Loach (le fameux bonnet) qui vont l’empêcher d’apparaître comme l’un des grands espoirs de la pop anglaise hors-cadre pour le millénaire qui s’annonce.
Et pour ses débuts en long format, Badly Drawn Boy ne fait pas dans la demi-mesure. 18 titres, plus d’une heure (des chiffres certes fréquents sur CD à cette époque), il faut tenir la distance pour convaincre. Et il convaincra tellement qu’il obtiendra le Mercury Music Prize décerné chaque année par un panel de personnalités de l’industrie musicale du pays.
The Hour Of Bewilderbeast est pourtant une drôle de mixture, à l’image de sa pochette par ailleurs assez laide. Le fond de l’affaire relève de la tradition folk britannique, à partir de laquelle Gough déploie un nuancier à première vue un peu fourre-tout, mais gagnant.
The Shining, solennelle et grave en introduction, est une fausse piste puisque la suite est plutôt ludique. Les musiciens dont il s’entoure (les Doves au grand complet sur plusieurs pistes) slaloment entre les humeurs, avec une tendance lo-fi assez prégnante notamment sur This Song ou Fall In A River, des instrumentaux en forme de vignettes ou plus développées (Bewilderbeast, jolie pièce pastorale à laquelle le xylophone et les handclaps donnent un air enfantin), un Cause A Rockslide qui commence comme Emotionnal Rescue des Stones pour prendre deux virages à 180° en cours de route, et même une courte pochade proto hip-hop (Body Rap). Il peut se montrer plus rêche sur la forme, en demeurant moelleux dans le fond (Everybody’s Stalking, en hommage à Harry Nilsson, Another Pearl).
Tout cela serait agréable mais anecdotique sans le grain de voix pas franchement original mais très attachant de Damon Gough, et la brillance de ses mélodies, surtout sur la deuxième partie du disque. En plus de l’intouchable Once Around The Block, que l’on retrouve en milieu de tracklisting, il place Camping Next To Water, Magic In The Air, Pissing In The Wind, le groovy Disillusion dans un esprit Stevie Wonder et l’émouvante Epitaph pour finir. C’est ce bouquet de chansons de grande classe qui, au-delà du patchwork du néophyte qui veut étaler ses capacités à assurer dans tous les registres, fait la réussite de The Hour Of Bewilderbeast. Parce que comme il l’écrit lui-même dans This Song :
This song will be here when you’re old
This song will heal you when you’re cold
Believe you when I don’t
This song will heal you from your soul
Image bandeau : « Citation » Capture d’écran youtube