[dropcap]L[/dropcap]e silence, provisoire ou définitif, de Syd Matters après Brotherocean, est-il dû au sentiment ressenti par le groupe qu’il avait enfin atteint, après trois efforts préalable, le Graal qu’il recherchait à tâtons, celui de l’album folk riche, fouillé, intense et magnétique qui serait unanimement salué et reconnu par la critique ? Cette thèse tient sans doute de la reconstitution a posteriori de l’histoire, trop séduisante pour être honnête, mais elle a le mérite de projeter un éclat supplémentaire sur cette perle qui avait estomaqué bien des mélomanes exigeants il y a dix ans.
Les titres obéissent presque tous à un schéma précis : le thème est exposé de manière minimaliste, avant que les instruments se joignent pour faire décoller l’affaire et la conduire à son point d’effervescence. Mais il y a une part de mystère, de sortilège dans la façon dont cette musique agit. Le chant sensible, expressif sans aucune afféterie de Jonathan Morali y glisse sur un mille-feuille musical remarquablement fluide, fait de mille détails.
En fait, on pourrait filer, c’est le cas de l’écrire, la métaphore du tissage tant tout ceci est affaire de fils qui se croisent. Un tapis vocal constitué de polyphonies chorales travaillées qui ne cessent de s’entremêler, un tapis instrumental essentiellement organique (guitares acoustiques, pianos, flûtes sur les deux titres qui encadrent le disque) que viennent perturber quelques inserts electro (Wolfmother, We Are Invisible, River Sister), un tapis de percussions inventives (Lost) et aussi un tapis liquide et végétal.
Thématiquement, en effet, la nature fournit l’essentiel de l’inspiration. Une nature proche de l’humain, dont les éléments peuvent être le frère ou la soeur. Elle est en même temps apaisante et inquiétante, à l’image des paroles de Sister River, dans lesquelles l’eau appelle le narrateur alors que sa couleur soudainement verte n’augure rien de bon. Les esprits se cachent dans les cours d’eau. Le huitième morceau, Rest, tient d’ailleurs de la prière païenne ou animiste. Ce double mouvement, attirance et méfiance, est à l’image de la musique, dont le magnétisme aquatique doit beaucoup au caractère trouble de sa beauté.
Sur ce plan, l’album se mesure à un autre pic de folk au présent mais d’inspiration seventies habité, voire hanté par des fantômes bucoliques. Quatre ans auparavant, Midlake avait fait paraître The Trial Of Van Occupanther. Le propos tant vocal que conceptuel de Jonathan Morali se rapproche par plusieurs aspects de celui de Tim Smith. Ce parallèle n’est pas un mince compliment même si l’homogénéité de Brotherocean le fait diverger des montagnes russes émotionnelles du chef d’oeuvre des texans.
Au-delà de l’irradiant single Hi Life, et pas seulement parce que nous n’avons plus rien eu à nous mettre sous la dent venant de Syd Matters depuis dix ans même si deux de ses membres, Olivier Marguerit, alias O, ou encore Rémi Alexandre, alias Shorebilly, ont comblé nos attentes entre temps, il faut réécouter cet album. Pour sa douce complexité, sa modernité ancrée dans un idiome ancien, le foisonnant Brotherocean mérite des visites régulières.