[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]e 12 Janvier 1980, And Also The Trees apparaissait pour la première fois en concert dans la petite ville d’Alcester. Trente-six ans plus tard, le groupe vient nous présenter son quatorzième album studio intitulé Born Into The Waves.
L’histoire débute dans l’écume des vagues glacées du post punk, le groupe est alors épaulé par The Cure et notamment Lol Tolhurst (à l’époque métronome au sein de l’illustre figure de proue de la new wave).
C’est sans aucun doute ce rapprochement qui permit à And Also The Trees de s’emparer d’un strapontin bien mérité au sein du mouvement. L’ex batteur minimaliste précédemment nommé ayant d’ailleurs produit leur premier album éponyme sorti en 1984.
C’est surtout avec Virus Meadow (1986) que l’affection pour cette musique théâtrale s’opéra. Les tensions issues d’un titre comme Slow Pulse Boy déposèrent dans l’arène la faculté de frôler du doigt une certaine forme de mysticisme exacerbé. L’imaginaire était puissant et en filigrane nous imaginions la bande son des fantastiques récits d’Edgar Allan Poe.
Par la suite, AATT réussissait même à rendre la mélancolie de Cat Stevens plus larmoyante au bénéfice d’une version dramatique de Lady D’Arbanville (1989).
Avec l’album Green Is The Sea (1992) c’est un tournant brutal qui s’opère. Le groupe se métamorphose dans une vision fantasmée de l’Amérique. Eux qui sonnaient trop anglais pour les anglais, dixit John Peel, s’enfoncent dans une perdition artistique malgré des livraisons plus ou moins régulières mais aussi affutées qu’invisibles. A peine un souvenir des jours prometteurs. Faute de presse enthousiaste, le public un peu paresseux s’éclipse.
En insistant malgré tout dans cette direction, l’acharnement conduira les vieux fans nostalgiques à mûrir leurs aspirations nourries des sursauts d’antan. Aujourd’hui, la petite musique bien ancrée dans les esprits a sans doute besoin d’un complément, un supplément d’âme.
Le nouvel invité déboule avec sa mandoline version Canada Dry : ça ressemble à une mandoline, ça a le goût d’une mandoline mais ce n’est pas une mandoline !
A la rigueur, c’est sans doute mieux car le son de guitare si caractéristique du jeu de Justin Jones est la marque de fabrique d’une audace plus que révélatrice. En fait, c’est le poinçon certifiant que nous sommes à nouveau en bonne compagnie.
Your Guess aurait bien pu être exécuté sous les latitudes ensoleillées chères à Calexico. Nous ne sommes pas en Arizona mais si je m’autorise à quelques divagations géothermiques, j’en arriverais peut-être à entrevoir un cafard qui se noie dans une bouteille de tequila.
La narration de Simon Jones a des accents de Nick Cave. Par petites touches animales, le félin semble tapi dans l’ombre tout en restant aux aguets, prêt à bondir …
Si j’ose un autre comparatif, c’est le charme emprunté à la rudesse slave qui vient magnifier solennellement une ouverture dont la douleur contenue est comme un entonnoir inversé. The Winter Sea souffle d’un froid intense avant que la ritournelle amère de Seasons and The Storm ne vienne filtrer la divine comédie dans un amas de faux-semblants.
L’épiderme est totalement arraché dans les vers dramaturgiques de The Sleepers. La poésie sonore est floquée dans le livret afin de sceller l’humeur aux yeux ébahis de chacun.
« Sleep Blind Eyes
Their Feet Kicking Out
Joined at the Hip
Joined at the Mouth »
A mi-chemin, je ne peux camoufler mon trouble. Celui d’avoir dégoté une véritable merveille même si je devine que cette dernière restera toute proportion gardée relativement occulte malgré l’effort évident dans le fond et les formes aux lignes brutes.
Il est vrai que si les anglais connaissent encore un vif succès d’estime, la sortie en quasi catimini de Born Into The Waves ne leur permettra sans doute pas de viser les plus hautes sphères.
Pourquoi cet état de fait ?
[mks_icon icon= »fa-square-o » color= »#000000″ type= »fa »] Une musique exigeante mais déjà mise en valeur par quelques leader du genre comme les Tindersticks
[mks_icon icon= »fa-square-o » color= »#000000″ type= »fa »] L’envie de ne pas trop se dévoiler au monde
[mks_icon icon= »fa-square-o » color= »#000000″ type= »fa »] Trop de style tue le style
Si vous avez la réponse je vous laisse le soin de cocher la ou les cases idoine(s).
A vrai dire, après avoir réécouté ce parcours discographique sur tout de même plus de trois décennies, il en ressort que la valeur ajoutée chez AATT est d’avoir bonifié ce virage qui prend aux tripes en lui insufflant les fantômes d’un passé aussi attractif que dangereux car pouvant vite se vautrer dans quelques platitudes caricaturales. Écueil habilement contourné ici et c’est en ce point que l’album est d’une réussite impressionnante.
Souvent, un recueil décèle quelques instants magiques et autour de ceux-ci la production trouve quelques entourloupes histoire de nous faire avaler la pilule en comblant les vides. Ici, tel n’est pas le cas. Outre une homogénéité dans l’impulsion, il y a une diversité naturelle au sein même du fil conducteur. Chaque élément venant s’imbriquer dans l’autre dans un accord plus que parfait. Les qualités auditives et de profondeurs acérées étant également au rendez-vous, que dire de plus ?
J’aimerais développer des heures sur les notes de Bridges, chanson vivante qui se décompose derrière des invocations désespérées : une toile soyeuse qui, derrière un riff atmosphérique emprunté à Personal Jesus, prend son envol avant de se confronter aux contrastes du crépuscule.
Vous recommander la psalmodie quasi a capella de Mister Jones (chanteur habité de son état) dans une suspension du temps, de l’espace et de tout. C’est un souffle rituel qui émeut l’auditeur devant les cloches imposantes de Saint Christophe.
Bis repetita au travers du vibraphone céleste qui nous soulève des maux sur l’onirique et instrumental voyage qu’est Naito Shinjuku !
L’escapade intérieure se poursuit au cœur des nuages grisâtres de Boden. J’y entrevois quelques éclaircies entre les lignes d’une qualité d’écriture précieuse.
Nous sommes finalement dans la même veine du dernier excellentissime Timber Timbre, entre noirceur diffuse et beauté palpable, celles qui contaminent l’espace de bout en bout. Dix titres qui surprennent férocement.
La clarinette résonne au bout du chemin pour des perspectives plus enjouées. Toutefois, ça serait vous tromper que de prétendre la chose guillerette. Là n’est pas non plus l’objet de la quête. Une fois encore, c’est cet organe qui continue inlassablement de battre, celui qui vous guidera dans la nuit alors que vous pensiez l’affaire à jamais perdue.
Vagues après vagues, l’éternel vague à l’âme…