[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#381982″]L[/mks_dropcap]e suicide. Sujet ô combien délicat que peu de créateurs osent aborder, affronter dans leur travail. Errer dans les méandres de la psyché, comprendre la complexité affective, socioculturelle, intime menant à ce geste fatidique… y’a-t-il démarche artistique plus périlleuse ? Le risque tient bien sûr à basculer dans le sordide, pire, le pathos. Mais il tient également à s’approcher d’un peu trop près d’une question cruciale qui taraude l’humanité depuis la nuit des temps : à quoi bon ? que foutons-nous sur Terre ? pourquoi continuer à avancer et vers quoi au juste ?
Sarah Kane a foncé tête baissée. Avec une puissance dramatique et une précision clinique dont elle ne se relèvera pas. Cet auteur suscita une fascination morbide quand d’aucuns estimèrent que son propre suicide constituait l’aboutissement de son œuvre.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#381982″]I[/mks_dropcap]l me serait difficile de leur donner totalement tort. C’est un lieu commun de dire qu’un texte porte toujours une dimension autobiographique, quand il conte le passé bien sûr, mais aussi lorsqu’il dévoile un futur, aussi funeste soit-il. Sarah Kane semble écrire que son personnage est déjà mort. Et tout dans cette mise en scène énergique et désespérée le démontre à son tour. Le médecin peut bien l’entendre, le public devra bien l’entendre. L’inéluctable vous accable dès les premiers instants. Vous avancerez jusqu’au bord du précipice et en prendrez conscience dès les premiers mots. Des mots crus, hurlés à la gueule de Dieu, sourd à toute imprécation. Des mots nus, décharnés, violents, prenant plus de force encore lorsqu’ils sont murmurés, comme dans un dernier souffle.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#381982″]A[/mks_dropcap]vant même que la pièce ne débute, le spectateur sait à quoi s’en tenir puisque le titre annonce l’heure de la fin, programmée, implacable, inévitable. Les chaises froides forment le cercle d’une pendule que rien ni personne n’arrêtera. Le personnage central y est enfermé, enferré. Et l’apparition d’un ange -qui se pourrait bien être un démon- n’y changera rien. La danse macabre a commencé, la musique jouée live, cathartique, obsédante et froide nous tire par les pieds. La dépression ronge chaque organe, chaque pensée, chaque mouvement. Alors à quoi bon lutter.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#381982″]L'[/mks_dropcap]existentialisme se teint un cours moment d’humour, cynique et impuissant, pour dire l’inutilité des médicaments et la fatuité du médecin. Il en appellera même à la spiritualité, dans un dernier spasme laissant croire quelques minutes qu’il puisse être possible de freiner cette course effrénée vers la fin, l’issue fatale.
Mais n’en croyez rien. Votre corps ne vous appartient pas. Votre condition humaine s’apparente à celle d’un moustique idiot se rapprochant dangereusement de l’électrode inventée pour mettre un terme à son existence. Sartre, Gide ou Camus, Nietzsche, la vacuité, le néant, la souffrance, la colère… bref une transe infernale dans laquelle vous serez pris, une nasse dont vous ne sortirez peut-être pas mort… mais pas indemne non plus. A voir absolument, même si cela vous fait peur.
4.48 Psychose
À 4h48, elle se taira. D’ici-là, elle lutte, elle parle, elle se débat avec elle-même, la vie, l’amour, son médecin, le monde entier. Avec le besoin fou d’être enfin entendue, non comme une malade mais dans la vérité de sa souffrance si concrète, si vivante.
Sarah Kane a écrit un texte radical et nu, sans aucun repère : ni acte, ni scène, ni personnage nommé. La liberté d’interprétation est donc totale. Sara Llorca et Charles Vitez ont fait le choix d’oublier la fin tragique de l’autrice pour faire entendre l’humanité incroyable qui vibre dans cette parole venue du bout de la nuit. Avec ses colères, sa douceur, ses brisures, ses sautes (d’humour aussi), son étonnante vitalité, surtout. Et, sans jamais rien forcer, ils ont tissé théâtre, chorégraphie, musique live pour donner corps à ce chaos intérieur.
D’où surgit soudain la danse extraordinaire de DeLaVallet Bidiefono – ange noir ou démon bénéfique, qui sait ? Magnifique pas de deux avec l’amour, avec la mort, en quête toujours d’une ultime réconciliation. Un hymne à la vie.
Auteur : Sarah Kane
Mise en scène et scénographie : Sara Llorca, Charles Vitez
Chorégraphie : DeLaVallet Bidiefono
Musique : Benoît Lugué, Mathieu Blardone
Avec : DeLaVallet Bidiefono, Mathieu Blardone, Sara Llorca, Benoît Lugué, Antonin Meyer Esquerré
Au Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes
Route du Champ de Manœuvre – 75012 PARIS
Du 2 au 21 février 2016, du mardi au samedi à 19h, le dimanche à 17h