[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]S[/mks_dropcap]i la question du lien semble plus prégnante aujourd’hui qu’hier, c’est probablement parce que nous avons oublié de quoi notre singularité est faite : de caractéristiques innées, héritées des liens aussi mystérieux que capricieux de la génétique, et de l’avidité d’apprendre, d’acquérir des compétences et des connaissances. L’intelligence, c’est à dire la faculté de comprendre ce qui nous entoure, réside dans la construction patiente, subite ou réfléchie, de liens, de passerelles, entre les êtres et les savoirs. Et sans ces passerelles, nous aurions le chaos, sans la promesse d’un univers derrière.
A l’image de mes personnages littéraires préférés, que d’aucuns qualifieront très injustement d’anti-héros parce que décalés, mon réflexe d’hypersensible chronique me pousse bien souvent à me retirer du monde réel pour en construire un, moins chaotique, et capable d’accueillir avec bienveillance ma singularité. Et pourtant, même dans ces moments de repli volontaire au sein de ce réservoir d’imaginaire, les liens irrésistiblement se créent, se développent, se déploient. Au-dedans, mais également au-dehors, presque malgré moi et peut-être même avec plus d’intensité que si je m’étais contentée du monde dans sa dimension réelle. La subjectivité se fait alors moins radicale. Son âpreté heureusement s’estompe, tandis que croît le questionnement de ma propre relation au monde. Et le vecteur le plus puissant de ce questionnement reste sans nul doute la littérature, l’ambitieuse, l’exigeante, celle qui bouscule et qui refuse de tomber dans l’indigence de la facilité.
C’est donc pour évoquer l’importance de ce lien, de ces liens que des auteurs français font l’honneur à Addict-Culture de proposer des textes inédits sur cette thématique, dont la richesse inépuisable constitue, à elle-seule, la promesse de moments de lecture étonnants.
Ainsi, au fil de l’année 2017, ces textes seront publiés, comme autant d’explorations de ce terme-monde, aux facettes aussi multiples que complexes.
Le premier à se lancer dans cette aventure littéraire est Thomas Giraud, écrivain nantais, auteur du très beau premier roman Elisée, avant les ruisseaux et les montagnes, publié aux éditions de la Contre-Allée en octobre dernier.
Avec le texte qu’il offre aujourd’hui, intitulé Tomber à l’(e)autre, Thomas Giraud nous invite à vivre un moment étrange, atypique, où le lâcher prise – en l’occurrence, pour le narrateur, de s’élancer, un 31 décembre avec des centaines d’inconnus, dans la mer froide de Dinard – vaut consentement à être ensemble, à enfin faire confiance, dans un moment faussement anodin.
Piétiner les conformismes, explorer les territoires profonds, rendre possibles l’ouverture vers un autre lieu, un autre temps et une autre présence, même rêvés : c’est en tout cela que le lien incarne la consolation ultime : la Beauté.