[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]orsqu’au début des années 90 Maudit Manège arrive dans mes mains, le choc est frontal. À cette période où je découvre en vrac Harrison, Brautigan, Kerouac, Miller, Fante ou McGuane, débarque enfin un français dont la voix me parle, un gars dont les textes m’accrochent à tel point que je continue à les lire en douce dans l’amphi de la fac, où les cours, forcément, semblent un peu poussiéreux en comparaison.
Et j’enchaîne, 37°2 le matin, bien sûr, mais aussi Zone Érogène, Bleu comme l’enfer, Échine, Crocodiles (seul recueil de nouvelles et pas franchement inoubliable par ailleurs) ou Lent Dehors. Puis arrive Sotos en 93, qui paraît, ô stupeur, chez Gallimard. Djian y gagne une certaine forme de respectabilité dont il se contrefout sans doute mais qui, surtout, fait grincer bien des dents.
Comment ce type peut-il être édité dans la prestigieuse collection blanche, lui dont les livres tournent obstinément autour du sexe et de la violence, dont les personnages picolent comme des trous et s’envoient à travers le corps les drogues qui passent à leur portée ?
M’enfin, la Littérature, ça n’est pas ça ! C’est un peu plus sérieux, môsieur, la Littérature ! Et nous de ricaner tout en continuant de lire les textes suivants … qui, il faut bien l’admettre, nous secouent de moins en moins, puis, et c’est une première, nous déçoivent, avant qu’on ne passe finalement peu à peu à autre chose.
Mais le gars est toujours là et continue de publier, un roman par an, plus ou moins, et on se surprend à rechuter de temps en temps, avec l’excellente série Doggy Bag, par exemple, parue chez Julliard entre 2005 et 2008, qui nous rappelle à quel point on a pu aimer ces personnages qui se fracassent contre la vie et convoquent régulièrement en nous l’image de ces insectes nocturnes menant la sarabande autour d’une lumière, contre laquelle certains se brûleront les ailes quand d’autres parviendront plus ou moins péniblement à prendre leur envol.
Et nous voilà en 2019. Un trentième roman, Les Inéquitables, qui nous réconcilie à nouveau avec l’auteur, que l’on avait pensé fini, usé, à la lecture d’À l’aube, l’an dernier.
On n’en a pas terminé avec lui, semble-t-il et ça peut ressembler à une bonne nouvelle.