[mks_icon icon= »fa-star » color= »#000000″ type= »fa »] Par Nicolas Houguet
C’était un peu après 7h. J’avais loupé le début du journal en allumant la radio. L’un de ces tics automatiques et un peu idiots que j’ai pour me rappeler du monde au réveil. D’ordinaire, je l’écoute d’une oreille distraite, occupé à reconstituer mes fonctions vitales et faire l’inventaire des choses que je culpabiliserai de ne pas faire dans la journée. On parle de Philip Roth. Pas du dernier tweet de Trump, de la dernière vacuité de Macron non… de quelqu’un d’intéressant et d’important pour moi.
Je comprends tout de suite : « il est mort. »
J’essaie de me convaincre du contraire. Peut-être est-ce une rubrique, une interview ou l’annonce d’un nouveau livre ? Non. Le ton compassé du journaliste ne trompe pas. Un peu secoué d’ailleurs. Il admet à bout de souffle qu’il avait aimé Pastorale Américaine. Moi aussi. Putain moi aussi. Et même plus que ça.
Je réalise. Ce genre de nouvelles, ça met un moment à faire son chemin à travers les couches d’incrédulité. Je ne vais pas vous faire la scène du fan hardcore qui connaissait tout de lui, ce n’est pas vrai. J’y suis arrivé tard. Au début des années 2000, quand on faisait un boucan d’enfer autour de La Tache qui venait d’avoir le Pulitzer, je crois. J’ai la flemme d’aller vérifier sur wikipedia. Je suis à peu près sûr. Ça suffira pour aujourd’hui. J’avais acheté le bouquin, à une période où j’étais au bout de la fac et dégoûté des choses littéraires qu’on y traitait avec tant d’austérité et si peu de passion. Roth est de ceux qui m’y ont ramené. Il est de ceux qui m’ont raconté l’Amérique. Je ne l’ai pas connu à l’époque de Portnoy et son complexe mais davantage à ce titre : moins provocateur, mais comme une conscience et une sensibilité absolument incontournables. C’était déjà pas mal.
Il fait partie de ceux qui déboulonnaient les idoles et les images rassurantes trop lisses. Le vieux prof de fac émérite souillé par la calomnie et le politiquement correct dans la Tache, cette étrange prophétie de nos démons actuels. Le suédois, héros américain presque publicitaire dans Pastorale Américaine dont la fille est une poseuse de bombes. Roth interroge toujours notre rapport au réel et nos certitudes, nous fait revenir sans cesse sur nos impressions premières, s’en amuse. Jusqu’à imaginer l’Amérique telle qu’elle serait si les nazis avaient triomphé dans Complot contre l’Amérique. Jusqu’à dire ce qu’on ne dit pas dans ses derniers romans, la vieillesse, la maladie et la mort (Exit le fantôme et Un Homme).
Philip Roth est celui qui interroge la réussite et la renvoie à sa vanité. A son ridicule, avec un sens de l’ironie et une justesse, une sincérité spectaculaire à incarner ses personnages jusque dans les secrets les plus honteux de leur intimité. Son oeuvre est puissante car dans les profondeurs il n’élude jamais rien. Que ce soit l’obsession masturbatoire, les fantasmes parfois un peu glauques, les personnages brisés par leur passé, ou rendus à leur humilité par leur santé qui se détériore. Avec lui, on suit la vie qui bien souvent nous déshonore.
Le romancier interroge sa forme artistique surtout. Pousse le dédoublement à son paroxysme, notamment dans Opération Shylock où le vrai Philip Roth doit démasquer un imposteur. Il fait vivre son alter ego fictif, Nathan Zuckerman, et en fait le narrateur de tout un cycle de romans. Il met l’écriture en scène. Et l’éclaire de toutes les nuances de son immense talent, il est plusieurs époques dans son œuvre. Du comique au tragique. De la peinture historique au drame intimiste, au temps qui passe et vous dépossède de tout.
Je pourrais en parler longtemps. Mais on s’en fout un peu, de ce que je pourrais en dire. Ce matin, la radio m’annonçait la mort d’un écrivain. L’un de ceux que je considérais comme grands. L’un de ceux qui m’ont inspiré, ramené vers la littérature. L’un de ceux qui était devenu au fil des années un peu comme un ami.
La seule chose à faire, c’est de le relire.
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[mks_icon icon= »fa-star » color= »#000000″ type= »fa »] Par Sandrine Maliver-Perrin
Philip Roth n’est plus. La nouvelle est tombée hier matin comme un couperet. L’écrivain américain le plus talentueux et le plus lu de son époque, ce grand chauve mince et élégant que l’on taxait de narcissique, misogyne, mauvais juif, pornographe et j’en passe, s’en est allé sans bruit, à l’âge de 85 ans. Le géant Philip Roth. Fuck !… Combien d’autres héros de la littérature va-t-il falloir pleurer ? Combien, qui emportent avec eux un peu de moi lorsqu’ils décident de tirer leur révérence ? On les croit invincibles, immortels… Mais non.
Né en 1933 dans le New Jersey, Philip Roth était petit fils d’immigrés polonais, et auteur d’une oeuvre foisonnante, composée d’une trentaine de livres. Il avait choisi d’arrêter d’écrire en 2012, au grand dam de ses lecteurs, qui attendaient chacun de ses livres comme on attend le messie… Auteur consacré mais pas consensuel, Philip Roth a souvent crée la polémique par ses personnages issus des communautés juives des Etats-Unis, sa prétendue misogynie et sa critique acerbe et sans concession de la société américaine.
Son style volontiers cru, provocateur, parfois drôle, ne manquait pas de déclencher les foudres du puritanisme outre-Atlantique. Et il n’en avait cure. Il s’était créé plusieurs doubles littéraires, dont le fameux Nathan Zuckerman, un juif américain amateur de belles femmes. De Portnoy, « véritable Raskolnikov de la branlette » et ses pulsions libertines inassouvies, à Mickey Sabbath, libertin fièrement assumé, Philip Roth adorait ce jeu de miroir et de doubles avec ses personnages. Certes, je dois avouer que ces types-là n’étaient pas vraiment ma tasse de thé, sans doute parce qu’ils ressemblaient trop à leur créateur et que l’original me suffisait amplement. On a toujours dit de Philip Roth qu’il n’aimait les femmes autrement que dans un lit et ne s’intéressait plus à elles dès lors qu’elles avaient passé la trentaine.
Pourquoi diable m’intéresserais-je à un tel mufle ? Parce qu’il avait un talent hors-pair et une voix propre, tout simplement. Qu’importe ses défauts et faiblesses à mes yeux, j’adorais l’écrivain du flamboyant La pastorale américaine, de l’apocalyptique (et prémonitoire) Le Complot contre l’Amérique(2004) et du puissant La tache, paru en 2002, qui lui valut le Pulitzer de littérature et le Prix Médicis étranger. J’admirais « son exubérance ironique » et m’amusais de son image de scandaleux et d’obsédé sexuel. Je lui pardonnais tout en réalité : ses excès, ses obsessions, sa mégalomanie. Sa décision d’arrêter d’écrire, quand j’avais pourtant été touchée en plein cœur par Exit le fantôme (2007) et Indignation (2008). Parce qu’il n’avait pas son pareil pour passer au scalpel la société américaine,« mettre des mots sur des maux ». Qu’il avait le courage de ses opinions et celui d’être soi dans une Amérique au bord du chaos.
La nouvelle de la disparition de Philip Roth m’a surprise et attristée, un peu comme s’il faisait partie de mon cercle d’intimes. Et il en faisait partie : pendant plus de 20 ans, ses livres m’ont accompagnée dans mon quotidien de libraire et chacune de ses parutions faisait figure d’événement. J’aimais la présence familière et rassurante de ses livres sur les tables et dans les rayons. Nombre d’entre eux trônent parmi les élus de la bibliothèque fort encombrée de mon salon. Et c’est peut-être ça finalement, plus que tout autre chose, un grand auteur : quelqu’un dont vous vous sentez proche alors que vous ne le connaissez pas. Quelqu’un qui vous manque et qui vous fait vous sentir un peu orphelin quand il n’est plus. Farewell, Mr. Roth.
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[mks_icon icon= »fa-star » color= »#000000″ type= »fa »] Par Adrien Meignan
Philip Roth n’aura pas eu le Nobel. C’est ce que rappellent sans cesse les médias ce mercredi 23 mai 2018. Quelle importance ? Il a écrit une œuvre tentaculaire et est résolument une figure incontournable quand on est un lecteur curieux comme je le suis. C’est lorsque je m’intéressai à la littérature américaine que le nom de Philip Roth m’est apparu. Impressionné par sa bibliographie, je l’avais noté dans un carnet en reliant les livres qui faisait séries (Devid Kepesh, Zuckerman, Némésis).
J’avais ma petite ambition de lire tout Philip Roth. Je commençai par Un homme dont je n’ai plus aucun souvenir. Puis vint la lecture d’Exit le fantôme qui me laissa un goût amer, il avait déjà fait son œuvre cet écrivain. Alors je pris l’un de ses premiers livres et l’un des plus courts (lecteur paresseux que je suis), datant de 1975 : Le sein. Ce fut l’une des lectures les plus réjouissantes. Cette histoire d’un homme qui se métamorphose en sein me fit l’effet de lire un livre dont l’absurde est maîtrisé et l’inconscient d’un auteur expulsé dans le grand magma du fictionnel.
Puis le temps passa et transforma mon ambition en plaçant Philip Roth parmi ces nombreux écrivains qui m’avait happé un temps pour me relâcher plus tard dans d’autres espaces littéraires. Alors, le jour de sa mort, je me dis qu’il n’est jamais trop tard pour satisfaire une ambition.
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[mks_icon icon= »fa-star » color= »#000000″ type= »fa »] Par Barriga
C’est une nouvelle un peu abrupte que la disparition de ce grand auteur américain qu’était Philip Roth. Il s’était fait oublier, préférant ne plus écrire depuis plusieurs années par honnêteté intellectuelle, ne voulant plus rien produire pour ne pas dénaturer son œuvre si vaste avec des parutions ternes, sans épaisseur. On pensait souvent à lui en fin d’année lors de l’attribution du Prix Nobel de littérature qu’il aurait tant mérité de décrocher pour la reconnaissance de son travail et de son impact sur la littérature mondiale ; mais ce ne fut jamais le cas, rejoignant la kyrielle d’auteurs injustement boudés par l’académie suédoise, je pense notamment à Jorge Luis Borges.
Pourquoi donc cet oubli manifeste ? Peut-être qu’il y avait trop de concomitances avec cet autre écrivain américain qui évoquait également la communauté juive américaine et le monde universitaire, Saul Bellow, prix Nobel en 1976 ?
Philip Roth avait beaucoup d’estime pour son aïeul, s’inspirant de son univers, celui de dépeindre cette communauté juive bourgeoise new-yorkaise mais souvent étroite d’esprit, de critiquer en filigrane ses travers avec une ironie mordante. Il fut beaucoup critiqué pour cela au début mais ça ne l’empêcha pas de continuer à publier des romans variés, évoquant sa vision de sa communauté judaïque qu’il souhaitait incarner, même si cette appartenance ne s’est jamais manifestée de façon ostentatoire.
Ses premiers écrits étaient plus que personnels, il suffit de lire ses premières nouvelles dans Goodbye, Colombus pour s’en rendre compte. Et puis le cycle Nathan Zuckerman qui se compose de quatre romans et d’un épilogue, dans lequel il est indéniable que le héros n’est autre que l’auteur lui même, abordant la complexité de l’Amérique, mais aussi sa conception de sa société dans des ouvrages amples et parfaitement construits, La tache et Pastorale Américaine notamment, un double permettant de se dédouaner face aux critiques mais lui permettant d’adresser des points de vues acerbes.
Je garderai toujours en mémoire ce plaisir de lecture dans tous les romans que j’ai pu lire, cette écriture fluide et très intelligente, s’interrogeant sur notre humaine condition, la présence du corps dans ses romans, la peur de la mort à travers des personnages qui évoquaient ses propres inquiétudes.
Je n’aurais qu’un conseil à adresser aux novices qui découvriraient l’univers de cet écrivain génial, ce serait de se laisser porter par le texte, se prendre au jeu de l’intrigue et déguster ce style plein d’humour et littéraire à la fois.