[dropcap]L[/dropcap]es toutes jeunes et talentueuses éditions nantaises Bouclard nous offrent un bien bel objet littéraire dans leur nouvelle collection L’officine : Les Assises du temps perdu, d’Anthony Guerrée.
En proposant une posture physique, une assise véhicule une posture sociale. La ligne, le confort, les proportions d’une chaise n’induisent pas seulement une façon de s’asseoir, mais aussi un faisceau d’attitudes et de scenarii possibles. Anthony Guerrée
Une fois n’est pas coutume, commençons par parler du livre. Du contenant, de l’objet, oui, du livre. Avant lecture, il est rare de prendre un tel plaisir à la découverte d’un ouvrage par la seule prise en mains. Reliure suisse, nous dit-on. Cahiers bruts brochés au dos collé, renforcés de part à d’autre par une double couverture rigide, le tout enveloppé d’une sorte de papier calque pour habiller l’ensemble. L’ouvrage ouvert se pose ainsi à plat, à 180 °, sans résistance. Avec pour simple envie de le déguster à sa table. Présentation soignée, mise en page parfaite, stylisée, un côté vintage années folles. Parfait pour accompagner Proust. L’écrivain, assis sur un sofa, pose majestueusement sur la couverture. Et sur l’enveloppe calque, nous nous réjouissons de rentrer dans cette officine, le nouveau laboratoire des éditions Bouclard, avec en devanture, Les Assises du temps perdu.
Pas un nouveau séminaire sur La Recherche, mais un pas de côté pour découvrir comment Proust peut autant inspirer les exégètes que les artistes. Dans la préface signée par le Président de la Société des Amis de Marcel Proust (rien de moins !), Jérôme Bastianelli liste tous ceux qui sont devenus lecteurs de Proust : musiciens, chorégraphes, photographes, cinéastes, écrivains, comédiens… Là, dans ces Assises, il s’agit d’un designer, Anthony Guerrée. Dès la deuxième page de couverture, avec une longue citation inscrite en grands caractères, le projet est annoncé : « J’ai lu Proust comme on fait un rêve et j’ai très vite souhaité en garder une trace, figer ma perception des personnages en les rendant visibles et en leur donnant une place réelle dans l’espace, en leur donnant une assise. »
« Chaisifier », selon le mot du créateur, les personnages de La Recherche, voilà un projet singulier, un peu fou, mais terriblement intime, curieux, subtil que nous propose Anthony Guerrée. Albertine, Elstir, Odette, Swann, Verdurin et Vinteuil passent sous le regard transformiste de l’artiste. Pour chacun d’entre eux, des pages du carnet de notes de l’auteur sont reproduites. Mots, phrases, citations et commentaires pour cerner le caractère, la posture, les influences, les objets de chacun. Et premiers croquis pour amorcer le structure de l’assise.
Une curiosité littéraire et artistique
Pour Albertine, c’est la roue de bicyclette qui sera l’élément clé, avec en écho le texte de Proust : « Je savais que je ne posséderais pas cette jeune cycliste si je ne possédais aussi ce qu’il y avait dans ses yeux » Pour Guerrée, la roue rappelle aussi le dossier de cette chaise pomare rendue célèbre par l’affiche du film Emmanuelle qui représente depuis « la légèreté et les mœurs libérées ». Albertine est là, toute en chaise, majestueuse.
Pas de méprise, ce n’est pas qu’un jeu de de l’esprit, le designer a réellement créé les chaises dont il est question ici. En bois, en rotin, et autres matériaux. Le livre est un avant-goût des créations finales qu’on ne verra pas ! Le livre dit le projet, écrit l’argument, esquisse le croquis, dessine l’objet. Une photo de l’assise finie aurait été trop réductrice. On sait juste que des expositions circuleront. Une mise en bouche fine et délicate. Le lecteur a hâte de voir.
Pour Elstir, le dossier de son rocking-chair ressemblera à un chevalet. Pour Odette de Crécy, ce sera une chaise de bistro en rotin qui rappelle la forme florale et les fameux catleyas ! Pour symboliser Swann, et son côté « équilibriste naviguant entre deux mondes », ce sera une « chaise réversible dont le dossier peut devenir assise et l’assise dossier ». Une chaise-paravent pour Mlle Verdurin. Et, pour Vinteuil, un magnifique banc de piano dont « la structure en chêne brossé est composée de cinq lames qui évoquent les cinq lignes d’une portée musicale ». Quelles subtiles mises en forme ! On peut juste regretter de pas voir dans le livre, les autres créations de l’auteur puisqu’il existe aussi les sièges de Charlus, de Saint-Loup ou d’Oriane de Guermantes.
Les Assises du temps perdu sont une très réussie curiosité littéraire et artistique, mêlant avec soin l’esthétisme et la création, les mots et la forme, se jouant des codes pour faire vivre les sièges au plus près de l’esprit.
Les éditions Bouclard ont créé une police de caractères (la Bouclard !), fondé une revue (3 numéros à ce jour), ouvert la voie au roman décalé (Turco, de Sylvain Chantal), et nous invite dorénavant dans leur officine où se préparent, comme ces Assises, de bien intéressantes inventions. Un univers éditorial très cohérent et enthousiasmant.
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Les Assises du temps perdu d’Anthony Guerrée
Bouclard, décembre 2020
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Image bandeau : Pixabay