[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]rno est de l’espèce des taiseux. On remerciera d’autant plus Pascal Poissonnier d’avoir eu la ténacité nécessaire pour mener à bien ce documentaire qui l’a conduit à accompagner le musicien pendant presque trois ans dans ses tournées marathon. De Bruxelles et Ostende au Japon en passant par la France et les Etats-Unis, il a filmé l’homme dans ce qui fait sa vie quotidienne depuis… un certain temps. Le bus de tournée, véritable objet culte, les studios ICP de Bruxelles, les hôtels, les coulisses, les salles de concert. Il réussit ainsi le coup de maître de nous donner de son sujet une vision réaliste, aux antipodes de l’hagiographie, sans jamais sombrer dans l’aspect people et sans toucher à la vie privée.
De l’entourage d’Arno, nous verrons néanmoins ce qui est sans doute l’essentiel : les musiciens (Mirko Banovic, Serge Feys, Bruno Fevery, Laurens Smagghe, Filip Wauters), l’ingénieure du son Catherine Marks, le producteur John Parish, le photographe Danny Willems. La famille, quoi…
Ce soir, Arno est venu avec le metteur en scène présenter le film à Paris. Mais il n’a pas envie de parler, enfin pas de ça en tout cas : « C’est ton film… » Et après tout, il n’a pas tort. Le film en dit tellement déjà !
Il commence… dans le bus de tournée, et ce n’est sans doute pas un hasard. Une banquette rouge, un oreiller qui traîne, des valises, et Arno qui réfléchit, bricole, cherche quelque chose, se lève et rejoint ses troupes, à commencer par Mirko Banovic, son fidèle bassiste. Et enchaîne direct sur un extrait live de C’est magnifique, entrecoupé d’un bout de clip des années 80, la même chanson chantée par un Arno jeune, fringant, cravaté, dingo, sur fond de culturistes luisants. Puis sur le travail en studio. Arno écrit sur ses petits cahiers, relit, boit du thé : « On commence, les gars ». Les gars en question sont effondrés sur un canapé, et n’attendent que le feu vert du chef de la bande pour démarrer. Serge Feys aux claviers se voit demander un son à la « Telstar et les Kingsmen ». Quant à la guitare, il faudra qu’elle soit carrée et groovy : « comme tu veux, du moment que ça groove. » Et ça ne va pas, c’était mieux la dernière fois. Pour la « Chanson absurde de 3 minutes », il faut réessayer, le son de la guitare ne ressemble pas à celui de la vache : « ça a changé »… Chercher le son qui est dans la tête d’Arno, vous imaginez le bazar… A noter : les séquences tournées en studio ont été quelque peu raccourcies pour la version télévisée, qui devait entrer dans le format des 52 minutes. C’est un peu dommage, surtout pour les moments de création avec John Parish qui valent leur pesant d’or.
Pascal Poissonnier filme aussi Arno seul, déambulant dans les rues de Bruxelles, Ostende, Paris… A Paris, il arpente Pigalle, monte vers Montmartre. Puis, en voiture : « Ah tiens, j’ai habité là (rue de Turbigo), mais ça fait longtemps… Et puis là, les Bains Douches ». Arno écoute les Kinks, Sunny Afternoon, et chante avec Ray Davies. Il cherche un son de clavier, c’est celui qu’on entend dans I want you, de Bob Dylan. Il n’aime que le présent, dit-il. Alors ? Il est temps de poser quelques questions au réalisateur :
Velda : C’est étrange, Arno parle sans cesse de sa détestation de la nostalgie. Et pourtant dans le film, il y a beaucoup de plans issus du passé, Tjens Couter, TC Matic, etc…
Pascal Poissonnier : C’est vrai, mais c’est tout Arno ça, tout dans l’ambiguïté. Il déteste la nostalgie mais le passé l’obsède.
Comment avez-vous eu l’idée de ce projet ?
Je voulais faire quelque chose sur Arno, mais au début je ne savais pas quoi. C’est avec le producteur Bart van Langendonck qu’on a eu l’idée de le suivre et de montrer, tout simplement, la façon dont il vit et travaille. Et puis on est devenus amis.
Vous l’avez suivi pendant presque trois ans, vous devez avoir un matériau impressionnant.
C’est sûr, j’ai de quoi faire un très long métrage dans quelques années !
Vous avez dû faire des choix impossibles, en fait…
Au départ, on avait prévu de sortir le film le premier trimestre 2017. Mais il a fallu être prêt pour le festival du film de Gand, qui se déroulait début octobre 2016. J’ai donc eu un peu de pression pour terminer le film à temps.
Le film est sorti en salles en Belgique. En France, il va être diffusé par Arte.
Oui, en Belgique, aux Pays-Bas, le système s’est assoupli, on peut aujourd’hui diffuser en salles des documentaires qui ne font pas la longueur « traditionnelle » d’un film de cinéma, organiser des événements autour. En France, ça reste compliqué, apparemment. Mais ça va changer aussi, sûrement. »
Pascal Poissonnier a réussi le tour de force de montrer Arno tel qu’il est, et de nous faire deviner ses zones d’ombre. Son ambiguïté, sa façon de rentrer en lui-même, la musique dans sa tête, tout le temps. Peu d’interviews directes, en même temps, c’est justement là une des forces du film : révéler l’homme à travers ses mouvements, son phrasé, son existence scénique. Un beau travail de montage, par exemple sur Watch Out Boy : la séquence démarre sur un concert d’aujourd’hui, puis enchaîne sur la même chanson interprétée live dans les années 80, 90, 2000. Ce vertigineux tour de machine à remonter le temps nous montre un musicien qui n’a rien perdu de sa passion ni de son inspiration.
Quelqu’un a judicieusement choisi pour le générique de fin une magnifique interprétation du Backdoor Man de Willie Dixon, histoire qu’on n’oublie pas qu’Arno est probablement le plus incroyable des bluesmen européens. Un film profondément émouvant, qui ravira les fans et révélera aux autres un artiste plus complexe qu’il n’y paraît.
Pascal Poissonnier, Arno, Dancing inside my head – Savage Film, coproduit avec Arte, la RTBF, Canvas et Scio Productions – La version courte (52 minutes) sera diffusée sur Arte le 3 février. Si vous en voulez un peu plus (et ça vaut la peine), achetez le DVD chez votre fournisseur habituel.
A lire aussi : l’interview d’Arno et la chronique de son album Human Incognito