[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap] l’ère d’une anthropocène qui fait débat tout en témoignant de l’impact significatif des activités humaines sur l’éco-système terrestre, préserver le monde sauvage dépasse le champ du primordial et du nécessaire pour induire un processus vital.
Mais pour sauver ce qui doit l’être encore, faut-il savoir de quoi il retourne exactement : sauvage, qui es-tu ?
Diderot et d’Alembert furent parmi les premiers à définir théoriquement le terme afin de l’intégrer à leur Encyclopédie raisonnée : « Ce mot sert en matière médicale à distinguer les végétaux qui croissent naturellement dans les champs d’avec ceux que l’on cultive. (…) Sauvage est encore une épithète dont l’on se sert en matière médicale, pour désigner les animaux sauvages et les distinguer de ceux qui sont privés. Ce mot vient de l’italien salvagio, dérivé de salvaticus (…), qui concerne les bois et les forêts, parce que les sauvages habitent ordinairement dans les forêts.» (l’article, fort intéressant au demeurant, est à consulter dans son intégralité ici.)
Notre Robert national (2015) se contente de lignes équivoques :
« 1 – (animaux) Qui vit en liberté dans la nature
2 – (êtres humains) Primitif
3 – (végétaux) Qui pousse et se développe naturellement sans être cultivé
4 – (lieux) Que la présence humaine n’a pas marqué, peu hospitalier
5 – Spontané, ni contrôlé ni organisé
Figuré : qui fuit toute relation avec les Hommes »
Le philosophe tout-terrain Baptiste Morizot reprend quant à lui une formule amérindienne : « Avant que les colons blancs ne débarquent avec leur idée de domestique, le sauvage n’existait pas. Le sauvage s’appelait le vivant. » (propos recueillis par Weronika Zarachowicz pour le numéro double 3525-3526 « sauvage » de Télérama en août dernier)
Et c’est sous l’égide de ce bon sens naturel que James Cheshire et Oliver Uberti nous invitent à suivre les traces d’une faune en perpétuel mouvement…
Cet Atlas de la vie sauvage est de belle facture, un simple coup d’œil au regard hypnotique du loup composé pour la couverture suffit à vous le prouver. Derrière cet air qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler la maxime Homo hominis lupus est (“l’homme est un loup pour l’homme”), se révèle tout un univers mis à notre portée qu’il nous appartient d’appréhender, d’apprivoiser…
A l’aide de cartes réalisées avec un réel souci de lisibilité doublé d’un sens esthétique dynamique évident, nous arpentons les quatre coins de la planète bleue avec autant de curiosité que d’humilité, deux qualités dont sont largement pourvus les deux auteurs.
« Cela ne coulait pas de source. Ni James ni moi ne sommes biologistes. James est géographe, je suis graphiste. C’est ici que réside la beauté de la révolution que représente le suivi animal. La convergence des domaines de l’écologie et de la technologie est une invitation ouverte à toujours plus de spécialistes d’autres disciplines de se joindre à la conversation (…) »
Les textes accompagnant les images se font récits d’initiatives, d’histoires et anecdotes individuelles qui reflètent un enjeu pluriel tout autant que collectif ; et c’est bien là que niche l’un des propos les plus importants de ce documentaire : le terrain du suivi animalier ne doit plus être l’exclusivité des scientifiques, car aujourd’hui ils sont nombreux à collecter plus de données qu’ils ne peuvent en traiter.
Domaine qui peine à lever des fonds, la communauté des biologistes est pourtant celle qui prône et tient au partage massif des données (considéré comme un devoir moral). Plusieurs plateformes en ligne ont ainsi vu le jour (Movebank, zoaTrack, Dryad), relayant expériences, observations et analyses de déplacements de certaines espèces. Cela permettant d’une part, de gagner jusqu’à plusieurs années de recherches sur un objectif partagé sous plusieurs latitudes, et d’autre part de limiter la capture d’individus à équiper.
En effet, bien que les avancées technologiques en matière de pistage (capteurs GPS, balises satellites, pièges photographiques…) aient de quoi impressionner et réjouir, leur installation physique reste traumatisante pour les spécimens étudiés. D’ailleurs, loin de louer la suprématie de ces méthodes modernes, les deux hommes soulignent à travers les mots de Megan Owen (ONG San Diego Zoo Global) qu’« en zoologie, l’observation directe reste la technique par excellence. Vous vous installez quelque part et, sans vous faire repérer, vous ne lâchez pas votre sujet des yeux. »
Le voyage qui nous est ici offert en trois parties (une pour chaque milieu géographique : terre, eau, air) nous donne bel et bien à observer des phénomènes que nous ne pouvions jusque là pas même soupçonner. Tapis derrière les pages de papier, nous apprenons que le puma solitaire, déambule régulièrement entre les lettres blanches d’Hollywood la bien-nommée ; puis nous découvrons que les baleines à bosse, au cours de leur migration, s’attardent auprès de monts sous-marins, comme attirées par l’altitude des abysses ; enfin nous nous surprenons à souhaiter que les sternes arctiques conservent le record de la plus grande distance parcourue (70900 km aller-retour entre les deux pôles). Mais ces informations, toujours émouvantes, parfois tragiques, souvent surprenantes, ont valeur d’esquisses : la prise de conscience qu’elles suscitent doit nous pousser à les assimiler dans le but de les reconsidérer par la suite à la lumière des derniers relevés.
« Le besoin d’innover de l’homme ne s’éteindra jamais, mais pourquoi ne pas utiliser la technologie pour accompagner le monde naturel au lieu de le menacer ? Cela nous donnerait également l’opportunité de mieux comprendre notre comportement. »
Cet atlas, au-delà de l’objectif de vulgarisation qui l’atteint absolument, embrasse une cause plus universelle (amputée de toute sa dimension pompeuse) : celle de nous apprendre à réensauvager (terme de George Monbiot) notre environnement. A commencer par celui, intérieur, que nous avons renié.
Et si quelque espoir apparaît permis, c’est bien l’éducation et l’action de chacun que nous prescrivent ces lignes pour parvenir à une différence tangible, une attitude capable de prêter allégeance au règne du vivant…
Atlas de la vie sauvage, par James Cheshire et Oliver Uberti
Traduit de l’anglais par Carole Coen, paru aux éditions Les Arènes, 2017
Pour aller plus loin :
Dans la peau d’une bête, de Charles Foster aux éditions JC Lattès, 2017
Pourquoi regarder les animaux ?, de John Berger, aux éditions Héros-Limite