« Au cœur du cœur de l’écrin, je cherche ce que je trouve»
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#f5be47″]V[/mks_dropcap]oici l’une des phrases répétées dans les 126 poèmes de ce livre dense et passionnant, Au Cœur du Cœur de l’Écrin, résultat de ce qui fut pour la poétesse Anne Kawala une longue recherche sur l’écrin du cœur d’Anne de Bretagne, à partir d’une commande de la Maison de la poésie de Nantes et du département de Loire-Atlantique. Le 3 Janvier 2016, la poétesse en fit une lecture à côté de l’écrin au musée Dobrée, restituant une partie du travail en cours.
À travers le livre, nous la suivons dans ses recherches et parfois dans ses doutes. Nous trouvons une grande remise en question de ce que nous avons appris plus jeune. Non, le Moyen Âge n’était pas une époque obscure. Il y eut autant d’évolutions qu’aux autres périodes, permettant plus d’égalité aux femmes que la Renaissance n’en a retirée.
«L’Histoire par des hommes est écrite / en écrivant l’Histoire, les hommes en effacent les femmes à peu près systématiquement» (page 25). À partir de ce constat, il faut alors rechercher où se trouvent les femmes dans l’Histoire. Replacer leur importance. Il n’est pas question de faire un renversement de toute notre approche historique en un seul ouvrage, qui possède bien d’autres facettes.
Ce livre de plus de 220 pages est aussi une incroyable manière de se rendre compte de la complexité de l’Histoire des rois et des reines, de l’entremêlement avec l’Orient, des jeux de pouvoir et de guerre… Mais à travers ces recherches, on aborde l’esthétique de la langue d’Anne Kawala, à l’égal de la contemplation d’une image.
On sait que la poétesse est diplômée des Beaux-Arts de Lyon. Ses autres livres sont nourris d’un vrai travail visuel, comme par exemple Part & aux éditions Joca Séria. Ici, on remarque une densité d’écriture mais l’auteur travaille ses phrases comme le ferronnier travaille le fer, dans de multiples langues, plutôt que d’utiliser un seul et unique matériau. Cela donne un phrasé ayant la puissance du vivant, composant autant avec le passé qu’avec le présent. On se retrouve ainsi immergé dans la recherche, quasiment blotti avec celle qui écrit au cœur du cœur de l’écrin.
Le fait que l’auteure n’élude aucun sujet, et se permette même de trouver des échos chez d’autres femmes que la duchesse de Bretagne, donne une force supplémentaire à son travail. Elle y évoque à plusieurs reprises la figure littéraire et féministe de Virginia Woolf, trouvant un lien par leurs dates d’anniversaire. Mais bien au-delà de cette coïncidence, Anne Kawala fait jouer une lutte interne : celle de l’égalité, celle du féminisme.
Ce livre est, dans une liberté totale de ne pas l’être, un livre de lutte, où l’on s’aperçoit de la complexité d’une conviction comme celle du féminisme. En effet, on pourrait y voir, en plus d’un gigantesque travail de recherche historique, l’œuvre d’une poétesse s’interrogeant sur ce besoin d’affirmer que l’inégalité entre les hommes et les femmes est injustice.
Ce livre ne se résume pas à une seule piste de réflexion, mais il ouvre de nombreux chemins de lectures. Ses pages sont elles aussi dans un écrin d’or, comme celui d’Anne de Bretagne. Le travail éditorial de Lanskine propose un écho à ce qui est écrit comme une symbiose entre l’objet et la couleur du texte.
Au Cœur du Cœur de l’Écrin d’Anne Kawala, paru aux éditions Lanskine.