MES PETITES AMOUREUSES
L’Ami parle beaucoup dans son livre des problèmes d’alcool sur le tournage de Mes petites amoureuses…
Même Pierre Lhomme est choqué par ces propos. Sur La maman et la putain, d’après son témoignage, ce n’est même pas sûr que ce soit arrivé… Et même si c’est arrivé quelquefois, certainement pas au point décrit par l’Ami. Là où c’est pamphlétaire, c’est que c’est arrivé sur le tournage de Mes petites amoureuses suite à la mort d’Odette, la grand-mère de Jean. On sait à quel point cette femme comptait pour lui, ils vivaient à Paris tous les deux. Jean, qui avait 35 ans à ce moment, avait vécu 26 ans avec elle, dont les 13 dernières années. Sa mort a été une douleur terrible. Comme pour Catherine au cours du tournage de La maman et la putain, je me demande comment Jean a eu la force de tenir, il était effondré. Ça n’a duré que pendant une partie du tournage. J’imagine que pour ne pas avoir relié ces deux choses ensemble, ni à l’époque, ni depuis, il faut ne jamais avoir souffert de la disparition de quelqu’un de proche.
Pour en revenir aux mensonges, l’Ami parle de Martin Loeb, l’acteur principal de Mes petites amoureuses. Il dit qu’il était très bien, certes, mais qu’il n’avait pas de mémoire et était incapable de retenir ses monologues. Dans le film, il y en a deux. Celui de la Rolls, qu’il dit à table, pour lequel il n’avait pas de prompteur. Et puis l’autre, celui des passions, pour lequel s’il avait effectivement un prompteur, c’était parce qu’il revenait juste d’un aller-retour Narbonne-Paris pour passer sa visite médicale. Du coup, il était arrivé en catastrophe, s’était habillé dans la voiture et n’était pas sûr des reprises de phrases, aussi on lui avait mis un prompteur. (L’Ami oublie-t-il de dire que Françoise Lebrun lisait, elle aussi, le monologue de La maman et la putain ? Ou bien a-t-il, pour elle, d’autres critères de diffamation ?)
Je passe sur le fait que l’Ami décrit Martin comme un garçon timide. Je crois que tous les garçons de 15 ans signeraient immédiatement pour n’avoir que la timidité qu’il avait : il parlait au cinéaste, aux adultes et aux filles aussi facilement qu’il me parlait !
L’Ami raconte aussi que Jean Eustache voyait les rushes tout seul au moment où ils arrivaient. Or ce n’est advenu qu’une seule et unique fois. Voici en quelles circonstances.
Un jour, Jean Eustache ne vient pas sur le tournage. On avait loué un train et des rails, aussi l’équipe décide de tourner quand même. Cottrell vient me voir et me demande de mettre en scène. J’étais vraiment timide à l’époque, mais de plus, les assistants de Jean ne m’aimaient pas du tout (ni moi, ni mon frère – à côté de ça, même si je n’en foutais pas une, le reste de l’équipe m’aimait bien). Aussi j’ai, bien sûr, refusé. Mais je me suis aperçu que personne sur le tournage ne savait ce qui devait se passer dans cette scène du train (en-dehors des vagues indications du scénario), alors que mon père me l’avait dit. J’ai appris ce jour-là qu’il y avait des choses qu’il ne disait qu’à moi. Quelques jours plus tard, quand les rushes de cette scène sont arrivés, mon père les a vus tout seul et les a mis à la poubelle. C’est la seule fois où c’est arrivé. Dire que Jean aurait pu avoir l’idée d’interdire son directeur de la photographie de rushes est diffamant parce que ça n’a rien à voir avec le personnage, ça donne de Jean Eustache une image complètement fausse.
De la même manière, sur une suggestion de Dominique Le Rigoleur, Maurice Pialat est venu tenir un petit rôle sur Mes petites amoureuses. Dans le poème de Rimbaud, Mes petites amoureuses, on lit ces vers :
« Blancs de lunes particulières
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouillères,
Mes laiderons ! »
Jean Eustache, l’ignorant, demande à Maurice Pialat la signification de pialat. Et Pialat lui répond : « un pialat, c’est un trou du cul ! ». Et l’Ami interprète allègrement la scène en prétendant que Jean Eustache traitait Pialat de trou du cul !
Quand Nestor Almendros est arrivé sur le tournage de Mes petites amoureuses, mon père était catastrophé, car Almendros avait d’énormes problèmes de vue. En fait il ne voyait rien (ou vraiment pas grand-chose) quand il regardait dans l’objectif. Mais quand les premiers rushes sont arrivés, mon père était estomaqué : jamais il n’avait eu un chef opérateur pareil, la photographie était magnifique et en plus il améliorait le cadre, les mouvements, de plan en plan. Il était capable de passer d’un plan en fin de soirée à un plan en plein midi, complètement raccord. Mon père n’en revenait pas, ils discutaient tous les deux, entre cinéphiles, avec deux regards différents. Nestor lui apprenait des trucs de directeur de la photographie alors que Jean parlait de mise en scène.
Le père Noël a les yeux bleus devait être tourné pendant les vacances de Noël 65. Quelques semaines avant le tournage, Martinez appelle mon père pour lui dire que le café où il voulait tourner une scène allait être détruit la semaine suivante. Mon père trouve une caméra en catastrophe, appelle Théaudière qui n’était pas libre, et du coup, pour cette scène-là, Jean fait appel à Almendros, qui m’a raconté que c’était à cette occasion qu’il avait travaillé pour la première fois en France… pourtant il apparaît au générique de Paris vu par… Parfois les génériques sont faux, parfois la mémoire fait défaut.
Pour en revenir au tournage de Mes petites amoureuses et à la mort d’Odette Robert…
L’Ami affirme que Jean Eustache va enterrer sa grand-mère à Pessac. Manque de chance, elle vivait avec Jean et est enterrée à Bagneux… avec Jean. De toute façon, pour partir à l’enterrement, Jean a emmené ses enfants et tous ses amis présents à Narbonne, c’est-à-dire : Henri Martinez.
trop drole