[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap] cette époque-là – fin des années 60 – il y avait deux clans : ceux qui n’aimaient que le rock, et ceux qui allaient « en boum » le mercredi après-midi et le week-end, dans les chambres exiguës quand les parents n’étaient pas là, dans les garages ou les locaux industriels que la municipalité avait bien voulu aménager pour accueillir les jeunes sauvageons que nous étions. On était tout petits, mais ça ne nous empêchait pas d’avoir des oreilles. On sortait tout juste de Polnareff ou de Dutronc (dans le meilleur des cas), mais pour danser, ça n’était pas l’idéal.
Dans la classe, il y avait un type un peu plus vieux, au look dandy – veste de velours vert-de-gris, longs cheveux blonds, lunettes noires. Et ce type-là avait un grand frère qui connaissait la musique. A cette époque-là, on s’agglutinait autour des fameux 33 tours « Formidable Rhythm’n Blues« , aux pochettes colorées et au lettrage psychédélique, qui recelaient des perles de la soul – la vraie. Imaginez un peu : sur le même disque, Otis Redding, Sam & Dave, Wilson Pickett, James Brown, Arthur Conley. Pas beaucoup de filles dans tout ça… Si, Esther Phillips l’oubliée, ressuscitée le temps d’un tube (What a Difference a Day Makes) en 1975.
Et puis le choc. Aretha Franklin. La voix, la puissance, le rythme, l’émotion à l’état pur. Toute seule, tout en énergie, pas besoin d’un homme pour la propulser ou la mettre en valeur. Pas très jolie Aretha, pas de minirobe, pas besoin. Alors les 33 T Rhythm’n Blues nous servaient de mines d’or : chacun sa pépite, chacun partait à la chasse au 45 T. Aretha Franklin, c’était la mienne, tout simplement. Parce que c’était une femme libre, parce que sa puissance, ses intonations, ses emportements vocaux, étaient autant de merveilles pour les oreilles, le cœur, le corps des gamines que nous étions, à la veille de 1968… A une époque où le machisme était vraiment dominant, et n’avait même pas encore de nom. Le Respect d’Otis Redding interprété par Aretha, c’était comme un manifeste. Même quand elle reprenait les Stones avec Satisfaction, elle réussissait à se l’approprier et à en faire sa chanson. Et puis le Chain of Fools de Don Covay, chanson d’amour et d’esclavage, I Say a Little Prayer, plus sensuel que mystique, à son corps défendant peut-être… Aretha Franklin, plus qu’une chanteuse, c’était pour nous une naissance, tout un monde à conquérir.
Peu importe qu’après, le rock ait pris le pas sur le rhythm’n blues dans nos discothèques et dans nos cœurs. Pour nous tous, les perles d’Aretha Franklin, d’Otis Redding et de Sam & Dave sont encore là, dans nos playlists de soirées, et n’ont pas pris une ride. Bye bye Aretha, et merci pour tout.
Velda
Aretha Franklin et le féminisme.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]retha Franklin nous a quittés mais celle que l’on appelait Queen of Soul nous laisse un héritage lourd de sens. Cette fille de pasteur émérite fera ses premières vocalises au sein d’un chœur gospel. Influencée par l’auteur, compositeur et interprète Sam Cooke, la jeune femme devra difficilement convaincre son père de convoler vers un registre profane. Pourtant, Clarence LaVaughn Franklin lâchera prise puisqu’en 1960, alors qu’elle n’a que 18 ans, Aretha Franklin rejoint la maison de disques Columbia afin d’y enregistrer son premier album sobrement intitulé Aretha. Sa carrière est lancée !
Parmi les titres issus de ce premier disque, nous retrouvons une reprise de la mythique Billie Holiday (Who Needs You ?) La filiation artistique mais aussi de pensée coule de source. Dans la lignée de son aînée, elle n’oublie pas sa part d’interrogation sur la place des femmes au sein d’un système phallocrate. De manière générale, la chanteuse aura à cœur d’exprimer ses convictions hautement humanistes.
A ce titre, on pourra souligner les paroles de I Never Loved A Man (The Way I Love You) alors que celle-ci vient de signer chez Atlantic. « You’re a no good heart breaker. You’re a liar and you’re a cheat and I don’t know why. I let you do these things to me (…) ». La b-side du titre (Do Right Woman, Do Right Man) sera du même acabit en réponse quelque peu cinglante au It’s A Man’s Man’s Man’s World de James Brown.
Bis repetita avec Respect et cette fois-ci c’est Otis Redding qui en prend pour son grade. Le détournement est renversant au point de devenir l’hymne de l’insoumission. Le titre est un carton et reste encore un grand classique du genre.
Au-delà d’une voix en or massif, c’est une femme de conviction et de combat qui laisse derrière elle un message dont nous pouvons aujourd’hui encore émettre l’écho.
Ivlo
Sources : Respect (le rock au féminin) par Steven Jezo-Vannier aux éditions Le Mot et le Reste