Rigoletto aux Chorégies d’Orange, samedi 8 juillet 2017
Le sacre de Gilda
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C[/mks_dropcap]ette année le théâtre antique d’Orange a poli sa roche pour accueillir la légende des barytons Léo Nucci, qui, après 50 années de carrière internationale, incarnait pour la 557ème fois le rôle éponyme dans l’opéra de Verdi : Rigoletto. « Avec le même enthousiasme. Et un plaisir inaltéré », confiait-il aux journalistes.
Face à lui, à son « expérience automnale », la jeune Nadine Sierra, soprano, 29 ans, fraîche comme le printemps, personnifiait le rôle de sa fille Gilda. Sublime.
Le public orangeois a retrouvé le talentueux Charles Roubaud, qui s’était illustré il y a deux ans pour la mise en scène de Il Trovatore. On reconnaît sa sobriété élégante, son goût pour une utilisation de décors épurés qui savent créer le luxe, l’abondance, la richesse. Ici, un immense masque de bouffon accroché à un manche, allongé sur la scène dont il occupe presque toute la longueur, une quarantaine de mètres, et quatre tables avec nappes blanches et chandeliers cossus suffisent à matérialiser non seulement le titre mais le lieu du premier acte : le bal du palais du Duc de Mantoue.
En 1851 est créé Rigoletto, sur commande du théâtre La Fenice de Venise. Verdi met en musique un livret de Francesco Maria Piave d’après Le Roi s’amuse de Victor Hugo. Le succès est triomphal. Hugo inscrit son action à Mantoue au XVIe siècle : l’histoire d’un père, Rigoletto, bouffon du duc de Mantoue, bossu et difforme, qui veut protéger sa fille Gilda des tentations manipulatrices des hommes. Mais celle-ci tombe éperdument amoureuse d’un jeune homme rencontré à l’église : le Duc de Mantoue lui-même, très bel homme qui met au profit de ces dames ses atouts séducteurs. Lors d’une réception fastueuse, le comte Monterone accuse violemment le Duc d’avoir déshonoré sa fille. Rigoletto, en qualité de bouffon, défend son maître et se moque ouvertement du vieux Monterone. Ce dernier le maudit pour ne pas avoir pris le parti d’un père défendant l’honneur de sa fille. Rigoletto en est terrorisé !
Face à l’enlèvement de sa fille par les troupes du Duc de Mantoue, Rigoletto décide de se venger en faisant assassiner son maître. Mais Gilda veut sauver celui qu’elle aime et tombe malencontreusement sous les coups du tueur à gages Sparafucile débauché par son père Rigoletto : la “malédiction” de Monterone est actée.
« La dona e mobile, qual piuma al vento, muta d’accento, e di pensiero. »
L’air le plus connu de Rigoletto et peut-être celui le plus chanté. Verdi, le compositeur, était intimement convaincu du succès de cet air, au point de ne le dévoiler qu’au dernier moment au tenor qui l’interprétait, lors de la représentation à la Fenice de Venise.
Cet opéra s’inscrit dans un cadre social précis et accorde une place importante à la psychologie de ses personnages. Bien plus qu’une « suite d’airs, de duos et rien d’autre » (Verdi), l’Orchestre Philharmonique de Radio France et les Chœurs des Opéras d’Avignon, Monte-Carlo et Nice ont honoré la subtilité musicale de l’accompagnement, sous la direction d’Alain Guingal .
Sollicité au dernier moment pour remplacer Mikko Franck, le chef d’orchestre finlandais initialement prévu mais pris d’un malaise une heure avant la représentation, le maestro Alain Guingal s’est imposé en orfèvre du temps, du rythme et de la poésie instrumentale.
On est loin de l’ambiance superficiellement festive que peut connoter ce titre.
Certes le bal nous emporte dès les premières minutes dans un élan de fête et de joie. Les robes de ces dames sont somptueuses et brillent de mille feux, les costumes des messieurs sont d’une élégance rare et les verres circulent allègrement. Mais très rapidement le personnage du père, incarné par Léo Nucci va se révéler triste, sombre, peiné de la mort de celle qu’il aimait, lassé d’un rôle de bouffon qu’il ne supporte plus et surtout terrorisé par l’idée que sa fille adorée Gilda (Nadine Sierra) puisse être victime des charmes du Duc de Mantoue (le tenor Celso Albelo). Sa vie entière est exclusivement dédiée à la protection de sa fille.
Leurs duos mêlant puissance vocale, charisme et charme naturel ont provoqué une émotion intense auprès du public orangeois dont les applaudissements n’ont cessé de crépiter. Leur complicité est telle qu’elle dépasse leur rôle : le ténor se montre d’une immense bienveillance et d’une admiration éclatante envers la jeune interprète au point qu’il l’embrasse sur le front, dans un élan paternel d’une grande intensité émotionnelle.
C’est aussi cela que l’on vient chercher à Orange : cachée parmi la raideur apparente de certains, tous sont en attente de communion totale avec les artistes. Du geste, du sourire, de l’émotion portée sur le visage qui va révéler un échange avec le public.
Nadine Sierra s’est imposée en impératrice du genre. Dominant l’exercice, elle irradie de charisme quand elle s’épanche sur son amour pour le Duc, ce bel inconnu qu’elle croise à l’église. Allongée sur la scène dans un moment de recueillement mélancolique, ses bras s’élèvent et dansent comme emportés par sa voix enchanteresse. Elle est acclamée longuement par le public. Tout en elle : sa fraîcheur de jeunesse, sa robe rose clair à pois blancs et ses ballerines assorties, ses longs cheveux bouclés attachés en demi-queue et sa voix si douce, incarne la candeur et suscite l’envie de la chérir.
Rigoletto inaugure la saison 2017 des Chorégies d’Orange en la plaçant sous le signe de l’émotion. La figure féminine y occupe une place essentielle : qu’elle soit filiale et gracieuse (Gilda) ou déterminée et d’une force mentale remarquable (les rivales Aïda et Artémis dans l’opéra Aïda qui suivra au mois d’août ), la Femme est auréolée.
Comment ne pas s’en réjouir ? Et féliciter la direction des Chorégies pour ce choix qui l’honore.
Rendez-vous l’année prochaine avec la venue de la chef d’orchestre française Nathalie Stutzmann, rompue à la direction des plus grands orchestres.