[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]P[/mks_dropcap]arfois dans un livre, la grande histoire se marie à l’intimité.
Et soudain, la liberté de Evelyne Pisier et Caroline Laurent, publié aux éditions les Escales, est un beau roman à emporter dans vos valises, car il est incroyablement généreux. Il vous fera voyager, vous éloignera de l’ennui des plages et des maillots de bains discutables (autant dire la vérité). Il vous transportera dans un univers d’une grande profondeur.
Au début, Caroline Laurent était l’éditrice d’Evelyne Pisier. Elles préparaient ensemble l’autobiographie romancée de cette dernière, grande dame engagée pour la cause des femmes. Mais Evelyne s’éteignit avant d’avoir pu mener cet ouvrage à son terme. Voyant que le temps lui manquait, elle fit promettre à sa jeune amie de le terminer pour elle. De ce bouleversant pacte d’amitié est né l’un des romans les plus puissants de ces derniers mois.
On découvre la vie de Lucie (du nom que s’est choisi Evelyne pour son double de fiction), passant son enfance en Indochine. Sa mère, Mona, totalement soumise à son époux, André, fervent admirateur de Maurras, aux idées pétainistes et fascisantes. La mère et la fille vont mener le combat de leur émancipation, échappant peu à peu à l’emprise toxique de cet homme, et s’affirmant au gré des bouleversements de leur temps.
Elles vont traverser ainsi les déchirements du vingtième siècle (et la fin tourmentée des colonies). Plusieurs fois leurs destins se heurtent à la grande histoire. Elles sont emprisonnées dans des camps japonais à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la famille doit ensuite partir vivre en Nouvelle Calédonie. Lucie grandit, découvre l’injustice. Livre ses premiers combats. Sa mère découvre Simone de Beauvoir et réalise peu à peu qu’elle vit sous le joug terrifiant de son époux. Lui demeurera imperturbable et toujours du mauvais côté de la barrière. Plus tard, la rebelle et romanesque Lucie, suivant un jeune médecin charismatique, se rend à Cuba, et tombe sous le charme de Fidel Castro (ou lui sous le sien). Elle vivra auprès de lui une grande histoire d’amour qui pourra menacer ses choix de vie et ses convictions. Elle tentera toute sa vie de rattraper les erreurs idéologiques de son père, s’élevant contre sa négation de l’holocauste, l’injustice sociale et pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Son existence est marquée par les combats toujours à mener pour accéder à tout cela.
L’autre voix du roman, dans des intermèdes qui parsèment cette fresque, c’est celle de l’éditrice, Caroline Laurent. Elle y raconte ses doutes, les échos que cette histoire trouve en elle et dans son passé à elle. Elle raconte l’amitié profonde et foudroyante qui l’a unie à Evelyne. L’émergence du livre. Elle raconte sa passion pour son métier d’éditrice, à « mettre les mains dans le cambouis », à travailler un texte. On assiste surtout à la naissance d’une auteure. Ce roman devient également le récit d’un passage de témoin entre deux femmes, entre deux générations pourtant éloignées. Leurs engagements se répondent et leurs regards se confondent, en une bouleversante symbiose.
Un livre qui porte en lui le souffle d’un grand film, romanesque et puissant, d’un raffinement, d’une justesse et d’une sensibilité absolument admirables.