[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C[/mks_dropcap]eux qui suivent l’œuvre de Laurent Mauvignier, trépignent toujours d’impatience de découvrir une nouvelle production de cet auteur prolifique et très discret. Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, Continuer est une bonne occasion de rentrer dans son univers. Il signe sans doute le roman le plus attendu de cette rentrée littéraire, on pense bien sûr à la saison des prix d’automne, et peut être le plus accessible pour les novices. Laurent Mauvignier est un auteur protéiforme s’investissant dans le roman avec succès, Loin d’eux, Apprendre à finir, Dans la foule, Des hommes, Autour du Monde pour ne citer que ceux-là, l’essai littéraire Visages d’un récit chez Capricci seule entorse à une production essentiellement issue de l’illustre maison Editions de Minuit et le théâtre avec notamment Retour à Berratham (pièce est écrite pour Angelin Preljocaj, chorégraphe et directeur du Pavillon noir à Aix-en-Provence).
Pourquoi donc ce roman est-il plus abordable que les précédents me direz-vous ? Parce que l’écriture de Laurent Mauvignier est habituellement imprégnée de polyphonie textuelle, la voix de chaque personnage se fait entendre, donnant une émotion particulière, une enveloppe, une texture à chacun d’eux dès qu’ils s’expriment, l’intrigue avançant au gré des discours de chaque protagoniste, tous ces éléments mis bout à bout peuvent dérouter un lecteur habitué aux romans de facture plus conventionnelle.
Dans Continuer, rien de tout cela, Laurent Mauvignier utilise une écriture très classique avec un narrateur omniscient qui nous délivre le récit, sorte de nouvelle stratégie d’écriture ambitieuse, comme si celui-ci voulait tenter autre chose, se mettre dans une autre posture d’écrivain en se confrontant à une nouvelle forme narrative inédite.
Sibylle élève seule son fils Samuel dans la région bordelaise où elle a refait sa vie après s’être séparée de son mari volage. Un soir, Samuel commet un acte irréparable et se retrouve embarqué malgré lui dans une situation qui rapidement le dépasse. Prenant les choses en main, Sibylle décide de faire face à ses responsabilités et de tout quitter du jour au lendemain pour tenter de sauver son fils et resserrer des liens distendus. Elle impose une idée folle à son adolescent : Partir trois mois à dos de cheval au Kirghizistan. L’intention de Sibylle est évidemment de fuir en attendant que les choses se « tassent » mais aussi et surtout de vivre une aventure avec son fils et de sauver leur relation. Troquer leur quotidien fait de surconsommation et de plaisirs inutiles. Samuel n’a pas le choix et suit sa mère.
Nous voilà donc en plein cœur des steppes d’Asie centrale. Le livre s’ouvre sur une chevauchée de nos deux personnages rencontrant l’hospitalité d’un peuple généreux. Au fur et à mesure de cette aventure, Samuel va changer de regard sur sa mère et la découvrir sous un jour totalement nouveau. Lui qui la dévalorisait et la trouvait à mille lieux de ses préoccupations d’adolescent, doit bien avouer que Sibylle fait preuve d’une abnégation et d’une débrouillardise surprenantes. Samuel va ainsi découvrir en même temps que le lecteur le passé de sa mère, fait de renoncements.
Grâce à une écriture très visuelle, le lecteur n’a aucune peine à se figurer les balades à cheval sur la steppe. Laurent Mauvignier nous livre une copie parfaite où chaque mot est à sa place, utilisant un ton juste et précis, une narration qui penche entre introspection des personnages et descriptions d’une nature aride. Les situations sont pleines d’aventures, parfois tendues et périlleuses, presque tragiques. Nous sommes pris dans les filets de cette histoire de deux êtres qui tentent de se retrouver à travers des situations parfois épiques.
L’auteur évoque avec beaucoup de pertinence et de sobriété la relation mère-fils sans tomber dans les habituels clichés des écarts générationnels. Le fossé qui sépare les deux personnages est évoqué de façon plus subtile, le manque de communication, l’affection d’une mère à son fils devenue rare sans qu’elle le veuille vraiment.
Laurent Mauvignier signe donc un roman remarquable, qui donne des envies de voyage, de contemplation, et qui invite le lecteur à s’arrêter, le temps de quelques pages ou plus, et d’enfin prendre le temps.
Continuer de Laurent Mauvignier, paru aux Editions de Minuit, septembre 2016