« Jesus died for somebody’s sins / But not mine. »
(« Jésus est mort pour les péchés de certains / Mais pas pour les miens. »)
Patti Smith, Gloria
[dropcap]C[/dropcap]ela fera bientôt deux décennies que l’insatiable David Shaw promène sa personnalité singulière et charismatique dans les alcôves les plus sombres de la scène électronique française.
Que ce soit au travers de ses productions personnelles, publiées sous une multitude d’identités disparates et conceptuelles, comme par ses collaborations extérieures, aussi parcimonieuses que pertinentes, ce natif de Manchester, Parisien d’adoption récemment installé à Bruxelles, aura largement contribué à brouiller les limites encore bien marquées entre l’énergie primitive du rock et celle, plus mécanique mais tout aussi physique, des musiques dansantes contemporaines.
D’abord pourvoyeur, à l’aube du nouveau millénaire, d’une techno viciée et pénétrante sous l’alias Siskid comme d’une charge sonore plus ouvertement électrique sous le pseudonyme évocateur de Animal Machine, c’est aux côtés de l’emblématique Arnaud Rebotini qu’il affirmera avec un certain panache ses marottes les plus éclectiques, en tant que guitariste de la première mouture rock de Black Strobe, qui sévira durant la seconde moitié des années 2000.
[mks_pullquote align= »left » width= »300″ size= »18″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#008000; »]Seul aux commandes sous la bannière limpide de David Shaw And The Beat, ce multi-instrumentiste inspiré produira une techno vocale feutrée et délétère.[/mks_pullquote]
Cependant, même en connaissant l’apport crucial du bonhomme à cette formule en groupe (le riff titanesque de l’incontournable I’m A Man, c’était lui), il fallait le voir sur scène à cette époque, arborant un t-shirt à l’effigie des légendes du thrash metal Slayer tout en balançant des séquences synthétiques dignes de l’EBM la plus glaçante, pour pleinement saisir toute la pluralité passionnée du personnage.
Par la suite, David Shaw retrouvera sa pleine autonomie en montant le premier projet musical à reprendre son véritable patronyme : seul aux commandes sous la bannière limpide (et peut-être même facétieuse) de David Shaw And The Beat, ce multi-instrumentiste inspiré produira une techno vocale feutrée et délétère, dont les circonvolutions irrésistiblement hypnotiques donneront naissance à son premier véritable long format, l’excellent So It Goes, qui paraîtra en 2012 sur son propre label Her Majesty’s Ship, fondé en binôme avec sa complice Charlotte Decroix.
[dropcap]C'[/dropcap]est à cette même époque que la rencontre, providentielle et décisive, avec le musicien français Bertrand Lacombe (plus connu sous l’alias Dombrance) fera figure de véritable catalyseur créatif : dans la foulée d’un coup de foudre artistique réciproque, doublement nourri de leurs points d’accord comme de leurs différences, le tandem monte DBFC, formation à géométrie variable centrée sur leur entente mutuelle.
Cette fine équipe publiera une poignée de maxis remarqués tout en écumant les scènes européennes, jusqu’à dévoiler au printemps 2017 l’album Jenks, qui exposera de façon éclatante tout le syncrétisme brûlant et sincère de ses auteurs, de la synth pop la plus racée au garage rock le plus dur en passant par les hymnes dancefloor les plus dévastateurs.
Alors que son comparse Dombrance s’est lancé depuis quelques mois déjà dans une forme originale de politique-fiction musicale, David Shaw And The Beat fait son grand retour en cet hiver 2020.
Il est assez amusant de noter qu’au moment où son featuring impérial sur l’étincelant Waiting For The Stars de l’ami Vitalic bénéficie d’une large exposition, illustrant une publicité récurrente pour un célèbre constructeur automobile, David Shaw publie son disque le plus rêche et décomplexé, synthétisant à la perfection la puissance addictive de So It Goes et le psychédélisme exalté du plus rock Jenks de DBFC, tout en radicalisant d’un cran ces deux facettes entrées en symbiose.
En six titres fougueux et réjouissants, le EP Love Songs With A Kick Vol. One voit ainsi se télescoper l’aura possédée de Suicide, la gouaille salace des Stranglers et la luxure poudrée de Soft Cell.
[dropcap]L[/dropcap]e ton est donné dès l’introductif Please Please Please, supplication dragueuse portée par la scansion viscéralement rock’n’roll de la voix de David Shaw, qui gambade sur une rythmique sèche et souple, sertie de claviers fantomatiques et troublants : derrière une modernité d’exécution véloce et habitée, on retrouve ici toute la fièvre originelle d’un genre né sous le signe du soufre et du stupre, bien avant qu’il ne finisse, soixante ans plus tard, comme une simple variable d’ajustement domptée par la dure loi du marché.
Le plus rugueux mais tout aussi remuant Nuclear Bomb prolonge cette ambiance à la fois menaçante et excitante, voyant le protagoniste de ces chansons d’amour tordues et perverses comparer la puissance de son désir à une charge atomique, sur un motif synthétique érigé en spirale obsédante.
Dans ce contexte, on s’étonnera à peine d’entendre, à sa suite directe, David Shaw sembler invoquer le fantôme de Jeffrey Lee Pierce sur un ravageur My Tongue Your Spit, qui transcende dans un baiser brûlant et vorace la tension érotique du mythique Sex Beat jadis signé par le Gun Club.
[dropcap]L[/dropcap]e propos devient encore plus explicitement lubrique sur un Skim The Cream (dont je ne vous traduirai pas le titre !) décliné en deux versions complémentaires : à une première partie psychotrope et insistante, qui invite la verve des durs à cuir (sic) Black Rebel Motorcycle Club à taper le bœuf avec le Depeche Mode euphorisant de la période Vince Clarke, répond en écho une seconde plus opiacée encore, lorgnant ostensiblement vers des fragrances dub lancinantes et cotonneuses, suggérant une hébétude post-orgasmique.
[mks_pullquote align= »right » width= »300″ size= »20″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#008000; »]La bande-son idéale d’une Saint-Valentin fantasmagorique, aussi insidieusement romantique qu’ouvertement dépravée.[/mks_pullquote]
Niché entre ces deux variations sur un même t’aime, on saluera le tour de force de No Shangri La, qui parvient à nous faire espérer une balade suave à la guitare languide avant qu’une accélération foudroyante, soutenue par une basse bourdonnante et stroboscopique, ne vienne porter la structure sonore à incandescence : plus qu’aucun autre titre ici, ce sommet d’exubérance sentimentale marie à la perfection évidence pop et ambition formelle.
On se consolera vite du format relativement chiche de ce nouvel EP, son intitulé numérique semblant promettre une suite ultérieure. Pour l’heure, ces vingt-cinq minutes fiévreuses et haletantes portent en elles plus d’idées astucieuses et de trouvailles imparables que bien des longs formats prétendant à une écoute immersive, et constituent bel et bien la bande-son idéale d’une Saint-Valentin fantasmagorique, aussi insidieusement romantique qu’ouvertement dépravée.
Avec ses guitares alternativement légères comme des bulles de champagne ou acérées telles de puissantes cisailles, la morgue crâneuse de ses couplets frondeurs et la félicité précieuse de ses refrains célestes, Love Songs With A Kick Vol. One emploie la même ferveur à vouloir nous faire tutoyer les étoiles qu’à nous séquestrer dans une cave en nous faisant aimer ça.
Loin des frasques paranoïaques d’un monde flippé en voie d’aseptisation généralisée, David Shaw And The Beat adresse un subtil bras d’honneur à notre époque, autant qu’il nous vante les vertus cathartiques de sa vigoureuse caresse musicale, aussi hantée que jubilatoire.
Avec amour. Toujours.
[mks_dropcap style= »square » size= »13″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]Merci à Charlotte Decroix pour HMS Records ainsi qu’à Henri Goyette pour Phunk Promotion.[/mks_dropcap]
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Love Songs With A Kick Vol. One de David Shaw And The Beat
Disponible en vinyle et digital depuis le 14 février 2020 chez Her Majesty’s Ship
David Shaw And The Beat en concert le 12 mars 2020 à Paris (La Boule Noire).
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Image à la une : Marine Keller