[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#993300″]C[/mks_dropcap]es nouvelles de l’auteur en langue portugaise Valerio Romão ont pour thématique le noyau familial, sujet semble-t-il crucial chez cet auteur dont c’est le deuxième titre paru aux éditions Chandeigne après Autisme.
D’une inquiétante étrangeté, ces familles tournent le dos au dehors, dans des espèces d’espaces où se joue toute la complexité des relations humaines.
C’est souvent à travers le regard de l’enfant que nous entrons dans l’intimité de familles qui dysfonctionnent ou du moins sont en rupture avec le modèle «traditionnel». L’enfant est témoin de la soudaine folie adulte à laquelle il s’adapte pour ne pas sombrer aussi, comme lorsqu’il faut incarner la mère défunte pour garder son père vivant (un père fait revivre sa défunte épouse à travers son fils aîné qui l’imite si bien qu’il se métamorphose de jour en jour), ou quand il faut protéger son père, si gonflé qu’il finit collé au plafond du salon, des assauts d’une mère effarée par la progression de la maladie, ou bien lorsque l’eau monte tellement partout que le grand-père se révèle doté de branchies.
La maladie, le deuil, le drame ultime de la perte de l’enfant, jettent un voile sombre mais aussi fascinant sur ces univers familiaux taillés pour la tragédie grâce au huis-clos. Mais cela n’empêche pas l’intrusion du merveilleux ou de la tendresse poétique entre un enfant et sa grand-mère qui tissent une relation si évidente et forte qu’elle enjambe l’abime que les adultes nomment Alzheimer.
Chaque texte appelle à relecture, parce que nous cédons trop souvent à des facilités de lecteur pressé. Mais oui, ce titre bizarrement familier : « Quand papa s’est mis à crever », nous sourit avec cette métaphore du père devenu baudruche, que la mère ne supporte plus de voir crever en gonflant. Ou bien cette grand-mère oubliée parce qu’elle perd sa mémoire immédiate, et qu’elle n’oublie pas comme il conviendrait, ce qui dérange le soi-disant équilibre familial.
Et l’auteur prend des risques à ne rien vouloir nous épargner, même pas l’infanticide, dans une nouvelle au titre aussi obscur pour le non averti, que les tréfonds de l’âme humaine :
« Sur la physique des particules et la théorie du multivers quand le boson de Higgs présente une masse inattendue de 125 GEV » !
Valério Romão nous malmène, alterne gifles et caresses fraiches et douces, fait un clin d’oeil à Buzzati dans «L’abîme te regarde, aussi longuement», et surtout s’exprime dans une écriture très particulière. La structure de la phrase est si bien maitrisée qu’elle se passe souvent de ponctuation, y compris pour les dialogues, une virtuosité que la traduction du portugais au français laisse intacte. La traductrice Elisabeth Monteiro Rodrigues a réussi à garder le rythme et la limpidité de cette syntaxe, et la traduction accède à la même valeur littéraire que le texte source. Ce genre de défi n’effraie pas Elisabeth Monteiro puisqu’elle est la traductrice en français de l’auteur mozambicain Mia Couto.
Le recueil se termine sur un monologue délirant et paradoxalement drôle : celui d’un père ayant perdu pied après avoir été rayé de sa famille et qui, hors de ce refuge qu’il a failli massacré, se livre aux pires abominations, si bien que finir par l’horreur est l’ultime dérision à laquelle nous sommes conviés.
De la famille par Valerio Romão traduit par Elisabeth Monteiro Rodrigues
paru aux éditions Chandeigne, avril 2018.