[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]D[/mks_dropcap]estroyer nous revient avec Ken, un album profondément marqué par les premiers émois musicaux de son unique membre Dan Bejar. Les fantômes de The Cure, des Cocteau Twins et même de The Church planent sur ces nouvelles chansons. Paradoxalement, Ken est sans doute l’album le plus expérimental du groupe. Avec Josh Well des Black Mountain à la production, à qui Dan Bejar a laissé une grande liberté, les structures et les rythmes ont pris de l’ampleur. Nous avons rencontré le canadien en fin de journée, après une longue journée passée à accorder des interviews. Difficile à débrider au début, il s’enflamme lorsqu’il nous parle des groupes qui ont marqué son adolescence. Il nous parle de sa passion des groupes anglais du début des années 80, de The Wild Ones de Suede, de son absence du dernier New Pornographers et de la mafia de Vancouver.
Tu as déclaré que tes chansons te venaient généralement en marchant dans la rue. Se mettre au calme pour composer n’a t-il jamais marché pour toi ?
Ce n’est presque plus le cas aujourd’hui. J’ai besoin d’un certain confort. Cela ne signifie pas que je dois être assis à mon bureau avec une feuille blanche en face de moi. Les chansons me viennent lorsque je mène une vie normale. Il me faut simplement moins d’agitation dans mon environnement.
Tu n’as pas participé au dernier album des New Pornographers.
Pourrais-tu nous dire pourquoi ?
Il n’y a pas eu de rupture dramatique. Juste une question de mauvais timing. Nous voulions chacun de notre côté sortir un album cette année. Mener deux projets aussi différents en parallèle m’était impossible. Quand je travaille pour les New Pornographers je ne compose pas le même type de morceaux. Si l’on compare nos deux disques, ils n’ont rien en commun.
Tu as tendance à jouer sur la répétition de phrases dans tes paroles.
Pourrais-tu nous dire pourquoi ?
Je vais à l’essentiel. Mes textes sont simples et répétitifs. En opposition totale au débit sans fin qui caractérise mes premiers albums. Répéter une phrase que je trouve bien tournée me procure du plaisir. C’est un bon moyen pour le public de retenir mes textes. J’aime ce côté désuet lié à la répétition. Les airs traditionnels d’il y a quelques centaines d’années fonctionnaient déjà sur le même principe.
Tu parles de la fin de l’ère Thatcher comme source d’inspiration. L’histoire du Royaume-Uni et ses courants culturels parallèles te fascinent-t-ils plus que celle de ton pays ?
Je ne trouve rien de fascinant à l’histoire du Canada. Cette époque, le milieu des années 80 correspond à mon adolescence. Le moment où la musique a commencé à me montrer une direction pour me connecter au monde. Ma vision n’a pas beaucoup évolué depuis. Le hasard a voulu que les artistes qui m’ont fasciné fussent anglais. Le climat social était tendu à cette période et j’ai cherché à comprendre son influence sur l’art britannique. Étrangement, quand je suis devenu adulte et que j’ai commencé à composer, je ne me suis plus vraiment intéressé à la musique de cette période. J’étais plus influencé par la musique du début des années 70. Mais en tant que fan, ces premières découvertes feront toujours partie de moi.
Pourrais-tu nous dire quels groupes ont particulièrement été importants pour toi à cette époque ?
Il y a quelques groupes qui ont influencé Destroyer jusqu’à aujourd’hui. The Smiths et New Order. Même si c’est parfois imperceptible, je sais que leur ombre plane sur tous mes disques. Et puis il y a ceux que j’ai arrêté d’écouter il y a 25 ans. Cocteau Twins, The Cure ou bien The House of Love. J’ai redécouvert toute cette musique récemment. Il y a aussi bon nombre d’albums qui n’étaient pas considérés comme “cools” à l’époque qui me fascinent. Je pense à The Church qui était jugé comme de la new wave commerciale. C’est maintenant que j’ai la quarantaine que je réalise à quel point leur leader, Steve Kilby est non seulement un fin mélodiste, mais aussi une sorte de poète mystique. Son influence se ressent sur un ou deux titres de Ken.
Ken est le titre original de The Wild Ones, le classique du groupe Suede. C’est une de tes chansons préférées. Pourrais-tu nous dire ce qui te séduit dans ce titre ?
Je n’avais pas cette chanson en tête lors de l’élaboration de l’album. Je ne m’intéressais plus à l’actualité musicale anglaise au début des 90’s. Dès que j’ai entendu Slanted and Enchanted de Pavement, j’ai totalement arrêté d’écouter de la musique anglaise moderne. Je suis complètement passé à côté de la Britpop. Je me souviens juste avoir entendu The Wild Ones et pensé que Bernard Butler était un guitariste fantastique. Ce n’est que bien plus tard que j’ai découvert Dog Man Star, qui est un album malsain. C’est une œuvre ambitieuse d’une portée incroyable. Je suis attiré par son aspect tragique. On retrouve plus particulièrement dans The Wild Ones une grandeur, un mélodrame et une poésie qui viennent des tripes. C’est étrange, personne n’a essayé de s’engouffrer dans cette direction musicale par la suite. Quand j’ai appris que le titre original s’appelait Ken, ça m’a bouleversé. Je ne saurais expliquer pourquoi. Ça a ajouté une part de mystère supplémentaire à ce morceau très personnel. J’ai cherché des significations secrètes aux paroles. Ça parait délirant, mais c’est comme ça que je fonctionne. Le pouvoir des mots est incroyable. Trois lettres ont suffi à modifier ma perception de The Wild Ones.
N’aurais tu pas préféré garder une part de mystère autour du nom de ton nouvel album ?
J’ai uniquement mentionné cette histoire autour de Suede car j’avais peur que les américains pensent que j’avais composé un album plutôt sombre autour de Barbie et Ken. Je regrette d’avoir eu à me justifier car un titre d’album doit rester énigmatique.
La pochette de l’album me rappelle l’artwork classe et épuré que l’on retrouvait chez Factory records.
Je ne suis pas doué pour les visuels. J’ai des idées arrêtées en tête que je n’arrive jamais à concrétiser. Ken me faisait penser à un titre pouvant illustrer un drame de la vie quotidienne. Quelque chose que John Osbourne ou Samuel Beckett auraient pu écrire au début des années 60. Ken sonne aussi brutal, comme ces pièces expérimentales de la même époque. Et puis je suis tombé sur cette photo d’un décor de pièce de théâtre scandinave. N’étant pas certain d’avoir opté pour le bon titre d’album, j’ai demandé à ce qu’il apparaisse en énorme sur la pochette pour arriver à me décider. Quand j’ai vu le résultat final, ce décors vintage mis en scène de la sorte m’a fait penser à un flyer post-punk. L’esprit correspondait parfaitement à l’esthétique des chansons.
Avec Cover From The Sun, tu tiens un single potentiel. Je suis étonné qu’il n’ait pas été choisi comme premier extrait de l’album. As-tu plutôt choisi The Sky’s Grey car cette chanson est un résumé parfait de l’album, un mélange d’expérimentation et de Destroyer plus classique ?
Exactement. La deuxième moitié du single est fidèle à la démo. Du Destroyer plutôt classique. Par contre, je n’ai pas compris ce qui c’est passé pour la première partie. Je n’ai rien vu venir. Le producteur de l’album, Josh Wells m’a entraîné dans une direction étonnante. J’aime la transition entre les deux parties avec un son de synthé assez dur. C’est la chanson qui m’est le plus fidèle sur Ken. Tout au long de ma carrière j’ai fonctionné avec mes tripes. Cette fois je voulais absolument que The Sky’s Grey soit le premier single. Cover From The Sun ne sonne pas comme une chanson de Destroyer. Elle sonne comme une chanson qui passe à la radio. Ou plutôt une chanson qui aurait pu passer sur les ondes il y a 30 ans (sourire).
Josh Wells, qui a produit Ken, est le batteur de Black Mountain. Avoir un batteur en tant que producteur a t-il apporté un plus au niveau du travail sur la rythmique ?
Je n’aurais jamais obtenu un tel résultat tout seul. En termes de rythmique c’est probablement le travail le plus intéressant que tu puisses trouver sur un album de Destroyer. Ces beats minimalistes apportent une texture inattendue. Ils permettent de se focaliser pleinement sur les chansons. Ils ont été la fondation autour de laquelle presque tout s’est construit. De façon mécanique et méthodique. Ils apportent également une agression qu’on ne retrouve pas dans mes autres disques.
Pourquoi ne pas avoir construit cet album avec le groupe, comme les précédents ?
Parce que j’ai eu envie de jouer d’un instrument en studio pour la première fois depuis 10 ans. Je créais des mélodies et des paroles dans ma tête. Le groupe leur donnait vie en fonction des directions que je leurs communiquais. J’étais content de m’assoir avec une guitare et de travailler sur des chansons simples et directes. J’ai initialement envisagé Ken comme un disque solo sur lequel je jouais de tous les instruments. Après réflexion j’ai légèrement changé mes plans car c’était ingérable (rire). C’est à ce moment que j’ai fait appel à Josh. Il avait déjà joué sur l’album précédent et tourné avec moi. Nous partageons un studio d’enregistrement. Il est juste venu me donner un coup de main en tant que musicien et ingénieur du son. Naturellement, il a endossé le rôle de producteur. Je lui ai laissé une grande liberté car la façon dont il faisait évoluer mes maquettes me fascinait. Ken n’est pas spécifiquement un disque intime ou personnel, mais son écriture a un côté sombre. Il a su faire ressortir cet aspect.
Ton studio de répétition/enregistrement s’appelle The Balloon Factory. Je le trouve plutôt original pour un groupe qui s’appelle Destroyer. Pourrais-tu nous dire d’où vient ce nom ?
(Rire) Je n’y avais jamais pensé. Le studio se trouve dans un quartier un peu étrange à Vancouver. On nous a appris que, par le passé, une entreprise fabriquait des ballons dans notre local. Ce qui est impossible à croire car ce n’est qu’un petit sous-sol hyper sombre. Soit c’était la branche administrative de leur activité, soit c’était un business douteux ! Nous sommes convaincus que c’était un business mafieux. Un peu comme le nôtre (rire).
Merci à Agnieszka Gerard
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