[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#993300″]A[/mks_dropcap]ujourd’hui je me la joue manichéen en posant une question cruciale : Quelle stratégie utiliser quand vous êtes un groupe et que vous voulez vous faire connaître ?
Simple, deux solutions s’offrent à vous : soit vous jouez la surexposition, en étant partout dans les médias (presse, télé, etc…), les différents supports multimédias (youtube, deezer, facebook, etc…) quitte à vous brûler les ailes. Cette solution est à bannir d’avance pour la simple raison que ça n’arrive qu’aux groupes connus et que vous cherchez à l’être justement.
Ou alors, vous jouez le mystère à fond. Vous n’accordez, dans ce cas précis, qu’une interview chaque année bissextile tout en sortant un concept album ésotérique incompréhensible, entre Harsh Noise et Bontempi joué à une phalange, pour un réseau hyper-confidentiel composé à majorité d’intellectuels cramés du bulbe et quasi sourds. Bien évidemment, cette solution est également à bannir d’avance parce que, si vous n’êtes pas connu, ben… avec une telle stratégie vous ne le serez jamais.
Bon ok, je schématise un peu, voire beaucoup. Néanmoins, il y a pire comme stratégie marketing. Celle, plus radicale encore, de Black Wine Order par exemple.
Qui ça ?!
Black Wine Order.
Déjà, pour vous les présenter, ça risque d’être coton. Groupe ? Entité ? Projet solo ? Allez savoir, puisque le concept de Black Wine Order est de ne pas… communiquer. Ou alors au minimum syndical.
Savoir, par exemple, que Black Wine Order est français, que nous ne saurons jamais vraiment qui le compose (donc pas de photos), qu’aucune interview ne sera donnée, qu’il y aura encore moins de concert que d’interview, et que leur musique se trouve gratuitement sur leur Bandcamp en forme digitale exclusivement. Voilà, c’est à peu près tout.
Alors, on peut émettre quelques suppositions sur l’identité de celui (ou ceux) qui se trouve(nt) derrière tout ça. Probablement une ancienne star des 80’s tombée dans l’oubli qui cherche une nouvelle crédibilité en s’orientant vers le dark jazz/black doom (au hasard, François Feldman, pour ce timbre de voix grave et sensuel).
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#993300″]C[/mks_dropcap]onneries mises à part, le groupe sort Dirt, second volet d’une trilogie commencée en janvier avec VVVVV et se terminant début 2018 avec Folklore. Selon le groupe (puisqu’il communique quand même à minima), VVVVV fait le grand écart entre le Tibet et le Satanisme, tout en puisant dans la littérature poético-ésotérique.
À l’écoute, on retient plus le côté malsain de leur musique et une propension à développer des ambiances peu communes, mêlant silence et indus martiale dépressive (Vnder), puisant ses racines vers Current 93 sans l’aspect théâtral de David Tibet. Si l’ensemble est plutôt… hum… plaisant, il souffre néanmoins de défauts empêchant d’y adhérer complètement, notamment la déclamation des textes, un peu trop détachée, et peut-être l’uniformité de l’ensemble dans laquelle aucun morceau ne parvient réellement à s’extraire (exception faite du ténébreux Taste Of The Svn lorgnant vers les Swans).
Si VVVVV faisait office de carte de visite intrigante, Dirt quant à lui élève le niveau dès les premiers instants. Dead Meat Jazz convoque le jazz de Badalamenti au doom/dark de Bohren en y ajoutant une louchée de dissonance et une bonne dose de Coil ; d’où un morceau hypnotique, lancinant, malsain et envoûtant, introduction parfaite pour entrer dans cet excellent album.
1870 va poursuivre cette plongée dans les tréfonds d’un esprit quelque peu dérangé en prolongeant cet aspect dissonant et le combiner à une indus en fin de course, le tout survolé par un chant très proche de celui de John Balance, à la fois conteur et chanteur par défaut. Musicalement 1870 évoque beaucoup les expérimentations barrées de Christopherson (dans cette façon de malaxer l’électro pour en faire quelque chose de sombre, organique et assez unique) et l’univers de Lynch.
Ensuite, Dirt va, sur les huit morceaux suivants, approfondir cette étrangeté, cette noirceur en s’orientant tantôt vers une sorte de rock(abilly)/indus expérimental revisité par le Tom Waits de Bone Machine (Song Of The Rain ou Le Bourbier Du Diable), tantôt vers des structures plus expérimentales, toujours aux frontières du jazz, de la dissonance, parfois à la limite du psyché (le très Psychic Ills Transistor), voire de l’ennui (Devotee, aussi passionnant qu’ennuyeux, selon l’humeur dans laquelle vous êtes).
Néanmoins, la plongée en eaux troubles qu’est Dirt se trouve être la plupart du temps passionnante et souvent surprenante, tant dans l’usage des boucles (Theory), que dans ces accointances avec le métal (l’atmosphère, très lourde, le chant, parfois caverneux) ou le dark ambient d’un Throbbing Gristle (frôlant quasiment l’ésotérisme sur la fin de Leviticus 213).
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#993300″]M[/mks_dropcap]aintenant, afin d’être raccord avec l’esprit du groupe, et aussi parce que j’aimerais autant éviter de m’en manger une en les mettant trop en avant, oubliez ce que je viens d’écrire, et faites comme si Black Wine Order n’existait pas.
Donc n’allez pas sur leur Bandcamp, n’écoutez pas et ne savourez pas cette plongée dans la noirceur littéraire qu’est Dirt. Par contre, vous pouvez le télécharger gratuitement sauf si vous voulez aller à l’encontre de leur philosophie. Dans ce cas, laissez leur plein de pognon, ils vous en voudront mais n’en tenez pas rigueur.
Dirt est sorti le 03 août dernier et est disponible nulle part sauf sur leur Bandcamp.