[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]P[/mks_dropcap]our celles et ceusses qui suivent mes déambulations musicales depuis les débuts d’Addict, vous le savez, je voue un culte plutôt déraisonnable à Blut Aus Nord. À chaque nouvelle sortie, outre le fait que j’ai une hypersalivation permanente entre l’annonce et la sortie du dit album, pour la rédaction de la chronique, je fais également des efforts, d’une abnégation quasi sur-humaine, pour paraître le plus objectif possible.
Aujourd’hui, fuck everything. Je laisse tomber l’objectivité, le masque, la raison, pour ne plus user que de superlatifs envers Disharmonium – Undreamable Abysses, très grand disque de Blut Aus Nord.
Parmi les rares en ces lieux qui suivent leur carrière depuis le début, vous le savez, MoRT est à ce jour leur œuvre la plus marquante. En un sens, leur chef-d’œuvre. Pour autant qu’on puisse appeler ça ainsi. Cauchemar froid, poisseux, malsain, long tunnel dans lequel s’ébrouent au ralenti des créatures indicibles cherchant à vous happer, MoRT déconstruit les codes du Black Metal pour inventer sa propre grammaire, parfaitement dérangeante, dissonante, inconfortable, où le malaise réside non pas dans ce qu’il montre mais dans ce qu’on imagine, faisant de MoRT l’illustration musicale des cauchemars Lovecraftiens. C’était en 2006.
En seize ans, après une discographie exemplaire, toujours aventureuse, parsemée de chefs-d’œuvre (la trilogie 777, Memoria Vetusta II et III), d’errances (les side-project Yeruselem ou Forhist, intéressants mais en deçà de BaN), de surplace (Deus Saluti) ou d’auto-citations (Hallucinogen) surprenants, Vindsval va, avec Disharmonium, revenir aux sources de MoRT, à savoir l’univers Lovecraftien.
Soyons clair : l’écrivain Américain a influencé tous les domaines artistiques avec plus ou moins de réussite. Peu concernant le cinéma (citons The Thing ou L’antre De La Folie de Carpenter, Rendez-vous Avec La Peur de Tourneur ou encore Stuart Gordon avec ses relectures fun et gore de Re-Animator et psyché de From Beyond), éclatant dans le domaine vidéo-ludique (Bloodborne notamment) ou encore littéraire (King, Gaiman, Moore, Barker).
Beaucoup de musiciens, qu’ils soient Métalleux (Metallica, Cradle Of Filth, Black Sabbath, The Great Old Ones, Electric Wizard) ou électro (Coil), ont revendiqué son influence sans pour autant aller plus loin que la citation. Jusqu’à aujourd’hui, aucun n’avait eu l’ambition/la folie, rayez la mention inutile, d’en faire un concept-album.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]V[/mks_dropcap]indsval, aidé en cela, mais j’extrapole certainement, par une période Lovecraftienne au possible (injonction de rester cloîtré chez soi du fait d’un mal présent partout, invisible et prêt à frapper n’importe qui), va relever le défi et réussir, en sept morceaux et un peu plus de quarante six minutes, un véritable exploit.
Celui de mettre en musique l’effroi, l’innommable, de coller parfaitement à l’esthétique de Lovecraft sans verser dans la caricature, en ne montrant rien, laissant juste l’imagination faire son travail retors. Pour parvenir à ce résultat, il va d’abord prolonger l’orientation prise par Hallucinogen. Si on peut émettre des réserves à son propos, notamment sur le recyclage des idées, il aura au moins eu le mérite d’ouvrir une brèche, laisser entrer une autre forme de lumière, moins froide et aveuglante que celle de Cosmosophy, plus kaléidoscopique (l’action du LSD probablement) et de ce fait accessible. Disharmonium va accentuer cette accessibilité, en élargissant d’un côté le champs du psychédélisme, présent absolument partout, et en poursuivant d’un autre, une approche mélodique moins austère, immédiatement abordable, complexe et très fine.
Immédiatement abordable dans le sens où Vindsval va simplifier les mélodies au maximum, les décharner comme s’il puisait son inspiration aux sources du Blues (qu’évoque invariablement la première partie de Chants Of The Deep Ones) de façon à les rendre aisément identifiables dans cet univers dissonant. Complexe, parce que ces mélodies vont devoir non seulement cohabiter avec la dissonance, mais surtout s’intégrer dans une sorte de magma ondulatoire massif, poisseux, parfois aqueux, presque éthéré, proche dans l’esprit de ce que créa Kevin Shields en 1992 avec Loveless. La finesse de Vindsval, le talent oserais-je dire, sera de parvenir à rendre harmonieuse cette disharmonie, notamment grâce à l’utilisation, très travaillée, des voix. Si dans les précédents albums, du moins jusqu’à Hallucinogen, le chant est utilisé de façon assez classique (grunt, chant clair, chœurs spirituels/spectraux, en complément des instruments), sur Disharmonium, les voix, en habitant enitèrement l’espace, structurent quasiment tous les morceaux (Into The Woods, Keziah Mason, The Apotheosis). Les grunts s’entremêlent, s’alternent, se superposent aux chœurs et réciproquement, soutenant l’architecture de l’édifice, et contribuant surtout à créer et asseoir cette atmosphère d’étrangeté évanescente, d’indicible effroi, cette suggestivité, primordiale dans ce contexte, captant ainsi l’essence de la terreur Lovecraftienne.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]P[/mks_dropcap]our autant, si la réussite de Disharmonium tient, d’une part, au fait que Blut Aus Nord prolonge l’orientation prise par Hallucinogen, s’ouvrant vers des contrées psychés (cf la montée d’acides assez remarquable de Tales Of The Old Dreamer), elle est également liée au fait qu’à l’inverse, pour adapter Lovecraft, Vindsval va devoir se plonger dans sa propre mythologie, axée principalement sur deux pôles (MoRT et tout le reste). Précurseur de Disharmonium, MoRT est sans conteste un des albums les plus dérangeants à être sorti ces deux dernières décennies. Extrême dans sa démarche, sa volonté d’étouffer, d’annihiler toute mélodie, c’est un monolithe froid, hermétique, dissonant, malaisant de part son pouvoir de suggestibilité, terrifiant dans son jusqu’au-boutisme. Disharmonium, dans son approche très monolithique, en est ainsi l’héritier le plus évident. Néanmoins, il en est également l’antithèse. Dans le sens où, malgré sa dissonance, il est, comme je l’expliquais précédemment, très mélodique.
En outre, il revisite aussi, ou plutôt intègre, tout ce qui a précédé et suivi MoRT. Vous me direz, Hallucinogen faisait peu ou prou la même chose. Certes, mais de mon point de vue, là où il recyclait certaines idées, Disharmonium va les absorber, les mettre au service de son sujet : vous trouverez ainsi le versant épique des Memoria Vetusta, l’aspect hypnotique de quelques épitomes de la trilogie 777, l’Indus de Yeruselem, le Dark Ambient/Field Recordings de The Work Which ou Forhist, le Black de The Mystical Beast, en somme tout ce qui constitue l’essence de Blut Aus Nord. Mais pas seulement. Si la carrière de BaN commence, à peu de chose près, lors de l’émergence de la seconde vague du Black Metal (Emperor, Burzum, Mayhem, etc …), Vindsval va devoir puiser plus loin encore que sa propre histoire, aller aux sources de la musique, dans ce qu’elle a de plus primale (le Blues) et aventureuse (le Jazz, notamment le Free) pour parvenir à trouver une cohérence narrative.
Parce que, autre point sur lequel Disharmonium enfonce le clou, c’est sa narration, incroyablement cohérente. En s’appuyant sur les écrits de Lovecraft (chaque titre évoque un personnage, une situation ou une citation), il imagine un récit captivant de bout en bout. Comme MoRT, il s’agit là d’un bloc, divisé en sept chapitres. Mais ils sont ici beaucoup plus diversifiés, changeant régulièrement d’atmosphère, passant du pur Black à l’Indus en passant par l’expérimental, alternant terreur sourde, inquiétante, à une autre bien plus spectrale, composant avec le silence, les moments de tension, d’accalmies. Tout ici fourmille de détails, regorge de mystères, hypnotise, concourt à tenir l’auditeur en haleine, non seulement de par son contenu, d’une richesse incroyable, mais aussi sa forme (intro et conclusion se font écho, formant ainsi une boucle musicale infernale) et ce, de façon à ce qu’une seule écoute soit inenvisageable pour en saisir toutes les subtilités.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]M[/mks_dropcap]aintenant, pour terminer, soyons objectif : des artistes, tous styles musicaux confondus, capables de créer un chef-d’œuvre de cet acabit après trente années d’activité, se comptent sur les doigts d’une main (allez, je dirais le Bowie d’Outside, le Nick Cave de Ghosteen, le Skepticism de Companion, les Swans de To Be Kind). Blut Aus Nord, non content d’écraser la concurrence en 2022, démontre avec une certaine insolence (et malgré les aléas) que le temps ne semble avoir aucune prise sur sa muse et qu’au vu des ambitions affichées ces derniers jours, il serait tout à fait en mesure de réitérer le même exploit dans les mois à venir. Album de l’année, cela va sans dire.
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Disharmonium, Undreamable Abysses – Blut Aus Nord
Debemur Morti – 20 Mai 2022
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Image bandeau : Pochette de l’album