Comme vous avez pu le lire dans mon article « C’est quoi Addict-Culture ? » nous avons décidé de donner la parole aux professionnels de la culture (musiciens, auteurs, éditeurs, producteurs…) pour qu’ils nous éclairent sur leur métier. L’important étant, pour nous, de ne pas parler au nom des professionnels mais de leur laisser une place dépourvue de toute contrainte éditoriale afin qu’ils puissent exprimer librement leur point de vue sur leur vocation, leurs attentes ou encore leurs difficultés.
Aujourd’hui, c’est donc Charlotte Bayart-Noé, éditrice des éditions Rue des Promenades, qui va vous raconter ce métier qu’est l’Edition. Un métier qu’elle décrit comme « difficile et jubilatoire« .
Lilie Del Sol, Rédactrice en chef Addict-Culture
L’édition aujourd’hui
On écrit pour être lu. On édite pour donner à lire. Éditer des livres, c’est proposer des textes triés sur le volet, sous une forme qui favorise leur découverte. C’est exprimer un choix, et le défendre. Le choix d’un texte est la fonction première d’un éditeur, sa prise de risque.
Or la production de livres exprimée en nombre de titres est trois fois plus importante qu’il y a vingt ans. Durant ce laps de temps, les technologies ont fait faire un bond à la capacité d’imprimer, et l’accès à l’instruction s’est renforcé. On lit d’avantage : la vente de livres, sur la même période, a augmenté de trente pour cent. Un rapport de dix entre la croissance du besoin et celle de sa couverture.
L’appauvrissement par l’abondance
Paradoxalement, la surmultiplication de l’offre renforce l’importance de la notoriété. L’abondance rend le choix plus difficile et limite la durée de présence de titres sur les tables des libraires. Ce qui favorise le « déjà connu » au détriment de la nouveauté. Il faut choisir vite et pour cela il faut savoir pourquoi.
Le conservatisme culturel est le retour de bâton de l’érudition, en ce qu’elle offre un cadre de référence rassurant dans le contexte d’une économie qui s’affole.
La nécessité d’inventer
Aussi publier de la littérature contemporaine de création, promouvoir des talents émergents est une gageure, dans une filière en pleine transformation qui a déjà laissé pour compte nombre de ses acteurs et en malmène une bonne partie. Il est donc à la fois ardu et impératif de trouver une signification économique à cette activité. Puisque ce sens n’est pas donné, il nous reste à l’inventer.
Le catalogue de Rue des Promenades, maison d’édition bimédia fondée en 2009, met en avant des textes d’aujourd’hui avec cette difficulté qui se règle d’une seule façon viable : réussir à vendre nos livres en quantité significative pour qu’ils trouvent leurs lecteurs et que nous puissions continuer.
Dès le début, nous avons voulu donner à nos livres les deux formes, numérique et papier. Il est fréquent d’aborder les virages technologiques sous l’angle de la rupture : on faisait ainsi, et désormais on fait comme ça. Nous choisissons de les envisager sous l’angle de la continuité : au travers des changements, qu’est-ce qui compte ?
Ce qui compte pour nous
Aux éditions Rue des Promenades, nous tenons à la qualité des textes : au sens qu’ils véhiculent, à la langue dans laquelle ils sont exprimés. Nous les choisissons parce que les histoires qu’ils racontent parlent de notre époque et des gens que nous sommes. Nous tenons à la lisibilité. Les textes sont corrigés plusieurs fois.
En format papier, nos livres sont de taille modeste, cousus, pour être plus facile à prendre et ouvrir, les polices et les marges sont choisies pour permettre une lecture fluide. Les livres de la collection de littérature ont des rabats, pour permettre au lecteur de marquer sa page sans courir après un marque-page. En format numérique, nous défendons depuis l’origine les valeurs respectives du format fixe porteur de la promesse de lisibilité de l’éditeur, et du format repositionnable, tout terrain puisqu’il s’adapte au dispositif de lecture, pratique puisqu’il est accompagné de services.
Nous avançons avec les libraires qui nous font confiance. Nous nous appuyons sur les réseaux sociaux, lieux de construction de notoriété. Nous croyons en la curiosité insatiable de l’humanité, en son besoin de fiction, inhérent à son langage donc à son essence même. Nous nous adressons aux lecteurs, à tous ceux qui ont un appétit pour les textes, sans présumer de leur préférence pour les objets réels ou numériques.
Au commencement était le verbe
Le langage nous rend aptes à communiquer de la façon complexe qui est nécessaire pour vivre en humains. Il fait circuler entre nous des éléments de réalité, nous permettant de faire face ensemble. Tout comme la carte n’est pas le territoire, le langage n’est pas la réalité. Ou plutôt il est une autre réalité. Il crée, de facto, une réalité parallèle à celle qu’il restitue : du verbe mémorisable et transmissible. Chacun a sa langue, met derrière un mot une image qui lui appartient intimement, à laquelle l’autre n’a pas accès : le même mot ouvre autre chose, en ce dernier. Une chose proche, mais pas superposable à la nôtre.
Ainsi le malentendu est inhérent à l’échange verbal. Chaque fois que nous en surmontons un, nous avons accès à un inconnu qui est la vision de l’autre. Une vision partielle, à laquelle nous inventons un complément sans forcément nous en rendre compte. Le moteur d’invention, qui permet de sortir de la réalité pour aller vers une autre, s’est mis en marche. La transcendance par l’échec. La fiction sort victorieuse, à cause de la limite à laquelle nous nous heurtons. Et de la fiction naissent les idées avec lesquelles nous construisons le futur. Une difficulté d’où surgissent les livres.
Une façon d’être en vie
Un livre, ce n’est pas d’abord un objet. Un livre, c’est une rencontre entre le texte d’un auteur et son lecteur. Elle a lieu quand, au fil de la lecture, ce dernier fait sien le récit qu’il découvre. Faire des livres, c’est notre manière de participer au monde, notre façon de le transformer, « parce que les livres, plus que les années et les voyages, changent les hommes », écrit par Erri De Luca.
Charlotte Bayart-Noé, éditrice de Rue des Promenades
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