[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]Q[/mks_dropcap]u’est-ce que les procès ont à nous apprendre sur le XXème siècle écoulé et, d’une certaine façon, sur nous, sur nos représentations de la justice et, par conséquent sur nos manières de vivre ? C’est ce projet ambitieux, résumé à gros traits dans cette question qui parcourt l’ouvrage collectif Inculte, intitulé En procès, sous-titré Une histoire du XXème siècle.
Disons-le d’emblée, si l’idée est séduisante, la tâche pouvait paraître difficile, ou au moins l’objectif difficilement atteignable tant la justice est multiple : pénale, civile, administrative et même dadaïste (T. Clerc), tant le concept de justice lui-même est polysémique. Comment réussir à ne pas rester dans les poncifs bien connus de la justice, cette petite anthropologie de comptoir qui fait au mieux les bons journalistes de procès et au pire les lieux communs des discussions de fin de repas ? Que peut-il y avoir de commun entre le procès de Gavrilo Princip (M. Enard) dont l’essentiel des comptes rendus se trouve couché sur du papier et, en quelque sorte, enfermé dans le temps du procès strico sensu et celui d’O. J. Simpson (M. de Kerangal) ou de Charles Manson (M. Larnaudie), surmédiatisés et débordant très largement de la salle d’audience ? Et entre le procès de ceux que l’on qualifie de terroristes et de ceux dont les crimes relèvent du droit commun (H. Gaudy) ? Les auteurs, ou au moins l’avant propos (A. Bertina et M. Larnaudie) n’apportent pas de réponse à cette question, et tant mieux car ce n’est pas l’objectif de cet ouvrage qui assume cette subjectivité, cette ouverture sur les procès plutôt que la recherche d’une constance sur le procès.
Le procès est un élément essentiel de la réalité et de la fiction politique.
L’ouvrage propose une troisième voie, extrêmement pertinente, entre la poésie de Charles Reznikoff dans Témoignages et la Fabrique du droit de l’ethnologue Bruno Latour. C’est une présentation savante, distanciée (car les auteurs qui ne sont pas des juristes voient donc ce que les juristes ne voient plus, là où se niche parfois l’essentiel) et littéraire. L’ouvrage ouvre des pistes, suggère des liens sur la manière de rendre la justice, sur la fonction également de la justice ou de la salle d’audience, pour ceux dont c’est le procès ou pour leurs juges. Et la lecture de ces différents procès finit par dire quelque chose de l’ordre public et moral de cette société du XXème siècle ou plus exactement de ces sociétés en mouvement du XXème siècle. Car ceux que la société punit, ceux dont elle cherche à se protéger sont ceux, c’est une banalité de le dire, qui refusent d’adhérer, pour de bonnes ou mauvaises raisons, aux valeurs des dominants de la société (ce que l’on voit particulièrement nettement dans les texte de C. Manon, d’A. Lefranc et de S. Prudhomme). Emerge ainsi une petite musique, une histoire mineure de ce droit (in)flexible qui, si elle ne permet pas de lire réellement tout le XXème siècle (le choix des procès est trop divers), dit autre chose et peut-être davantage : ce que ces auteurs, aujourd’hui, en France voient, comprennent et surtout retiennent de la justice du siècle passé. « Celui du souvenir » comme l’écrit Marie Cosnay, peut-être, mais beaucoup plus encore.
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