Par Marianne S.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#993300″]M[/mks_dropcap]arguerite Duras, née Marguerite Donnadieu à Saïgon, est un personnage difficile à résumer en quelques lignes. Rien qu’en prononçant son nom, le temps se pose. L’attention est captée, le silence est déjà prêt, on imagine la fumée de cigarette s’élever en volutes et on imagine le regard flou vers l’horizon. Marguerite Duras c’est une promesse de voyage, de lointain mais surtout, de littérature. Râpeuse, chaude, claquante et précise, une littérature sensible et brute à la fois.
J’ai toujours entendu parler de L’Amant, de Moderato Cantabile et d’Un Barrage contre le Pacifique, mais ma première lecture durassienne a été Les Petits Chevaux de Tarquinia. Explosion sensorielle, véritable coup de poing dans ma culture littéraire française, ce roman m’a bouleversée et enchantée. Cette moiteur, ces différents liens entre les personnages, cette errance pendant ces vacances chaudes qui n’en finissent pas, et ces descriptions… Marguerite c’est aussi le souvenir d’un soir au théâtre de l’Atelier, où Emmanuelle Riva et Anne Consigny se donnent la réplique sur le texte de Savannah Bay. Un peu plus tôt, j’y ai vu Dominique Blanc qui déclamait La Douleur. Marguerite Duras permet le lien, une passerelle entre ses textes et des personnes qui comptent. Plus récemment, c’est aussi mon premier larcin dans une bibliothèque portugaise : L’Amant, éditions de Minuit, exemplaire usé et tâché. Le plus beau.
Marguerite Duras peut toujours être présente, jusque dans les enregistrements de ses entretiens (celui avec Bernard Pivot dans un numéro d’Apostrophes est épatant). Mais Duras c’est aussi une auteure qui avait le don – et parfois le vice – de tirer le pouvoir dramatique de chaque situation, et notamment des faits divers. On se souvient des réactions face à ses déclarations où Christine Villemin était « sublime, forcément sublime ».
https://youtu.be/BidilIrlVGo
L’auteure, figure emblématique et critiquée du roman et de la scène du XXe siècle, est décédée il y a tout juste 22 ans.
Ce qu’elle nous laisse depuis, ce sont des mots maintes fois repris par comédiens, metteurs en scène et éditeurs. Et par des auteurs qui la citent invariablement comme source d’inspiration. Mais qu’ont-ils, ces mots, pour pouvoir vivre si longtemps après le départ de leur créatrice ? Celle qui est publiée dans la Pléïade quinze ans après sa mort et fait l’objet d’un jeu vidéo créé en 2013 n’est pas prête d’être oubliée. Véritable monument de la culture française, sa voix et ses écrits vivent et se partagent encore, avec passion.
Par Adrien Meignan
Marguerite Duras était donc aussi une réalisatrice de cinéma. Elle tourna en 1977 Le Camion, film d’une radicalité fulgurante, durassien autant dans la forme que dans le fond. Le film fut présenté au pays des scandales faciles qu’est le Festival de Cannes et en provoqua un beau, évidemment. C’est aussi parce que Duras réalisa ici un non-film : une œuvre cinématographique qui ne montre qu’un camion circulant sur des routes de campagnes ainsi que le duo Duras/Depardieu récitant le scénario dans la résidence de l’auteure. C’est là tout le génie de Duras, de ne rien montrer et tout suggérer. Et ce qui est dit dans ce film est aussi une partie du discours politique de l’écrivaine qui fut exclue du parti communiste en 1950.
Ce message politique se résume en une phrase que répète l’héroïne du film :
« Que le monde aille à sa perte ».
Ce n’est absolument pas négatif pour Duras. Au contraire, elle l’explique dans un entretien avec Dominique Noguez dans le livre Marguerite Duras, La Couleur des Mots publié aux éditions Benoît Jacob en 2001. Elle dit :
Non, la perte du monde, c’est que le monde se répande, que le sort commun devienne vraiment commun. Qu’il n’y ait plus cette tentative d’économie sordide de l’oligarchie financière mondiale. Qu’est-ce que ça veut dire, cette occupation des gens qui consiste à retenir ses biens, à ce point-là, son argent ?
À l’aune de ces propos, le film Le Camion est peut-être le message le plus lucide et le plus direct que Marguerite Duras ait laissé dans ce besoin d’équité et de justice sociale.