[dropcap]A[/dropcap]vec L’homme peuplé, Franck Bouysse franchit une frontière. Dans ses romans précédents, il nous proposait des histoires aussi complexes que noires, des personnages tout en clair-obscur, des destins somptueusement fracassés. Avec L’homme peuplé, il exprime aussi au grand jour les tourments de l’homme qui écrit, les mécanismes de création d’un roman, et jette sur sa vision de la littérature une lumière aussi personnelle qu’universelle. Harry, l’un des deux protagonistes de L’homme peuplé, est l’auteur d’un seul livre à succès, L’Aube noire, paru cinq ans auparavant. Depuis, « on s’était mis à l’attendre au tournant » : le fameux deuxième roman. Harry a profité de l’instant, de l’ivresse de la célébrité, des rencontres avec des personnes de tous horizons.
« Le problème avec ceux qui aiment un livre, c’est qu’ils finissent par aimer son auteur, sans réserve. »
Franck Bouysse
Harry est devenu un homme des villes qui vit mal la coupure entre l’homme et le romancier, à tel point qu’il est pris de doutes quant à l’utilité d’écrire un deuxième roman, voire quant à sa capacité à le faire… Il l’écrira pourtant, ce deuxième roman, son éditeur l’aimera et se réjouira à la perspective de belles ventes. Mais lui, Harry, sait que ce livre-là ne paraîtra pas :
« Pas une seule ligne ne lui apparaissait digne d’être sauvée, à part peut-être le titre : J’écrivais (…) »
Franck Bouysse
En relisant ce deuxième manuscrit, Harry se remémore l’époque où il écrivait L’Aube noire. L’époque où les mots et les phrases s’enchaînaient, tenaient debout, miraculeusement. Les temps heureux. Pour tout arranger, Harry vient de subir une rupture amoureuse douloureuse. Alors l’auteur des villes prend une décision radicale : s’installer à la campagne, s’isoler, s’efforcer de retrouver l’état de grâce et la vérité des mots.
Caleb, avec son prénom biblique qu’on a plutôt l’habitude de trouver dans la littérature américaine, chez Steinbeck par exemple, vit seul dans un hameau de deux maisons, au lieu-dit Le Bélier, à cinq kilomètres du village le plus proche, en pleine campagne quelque part au centre de la France. Quand le roman commence, c’est l’hiver, la neige s’annonce et le brouillard fait son œuvre d’artiste, jetant un voile sur les arbres, les champs et les sentiers. « Sa vie d’homme se résume à ceci : allumer un feu à l’aube, l’entretenir et le laisser s’éteindre dans la nuit pour mieux le rallumer le matin suivant. » Dehors, dans le froid, une mésange bleue l’observe. Dedans, près du foyer, un chien dort. Caleb vit seul avec le souvenir de sa mère Sarah qui le protégeait jalousement de tout contact extérieur, surtout avec les filles. Il n’a pas connu son père, il n’a pas de famille. Mais il a hérité des dons de sa mère, guérisseuse des animaux, sourcière – à un « u » près… et de la maison où il vit. La bergerie, le tracteur, et puis, à côté, l’ancienne maison des Privat où vient de s’installer un étranger.
C’est sur la deuxième maison du Bélier, celle des Privat, que Harry a jeté son dévolu. Une annonce sur internet, un rendez-vous avec l’agent immobilier, l’affaire a été vite faite. Au volant de son 4×4 de location, Harry débarque dans son nouveau foyer. Etonnamment, pour un citadin, il s’habitue plutôt bien à la vie rude, à la solitude, à la neige et au brouillard. Il s’occupe de nettoyer la maison, de s’aménager un bureau, de se fabriquer une bibliothèque avec les moyens du bord. Mais bientôt, l’atmosphère se charge d’une angoisse diffuse. Harry se sent épié, et n’arrive pas à voir qui habite la maison voisine. Une présence, un chien d’abord menaçant, puis familier, l’impression qu’on entre chez lui quand il n’est pas là. De temps en temps, il descend au village faire quelques courses et prendre un café à l’épicerie du village, chez Sofia.
Les personnages humains sont là. On se gardera bien d’oublier le paysage, le climat, les arbres et les animaux qui peuplent ce coin de France oublié et qui constituent bien plus qu’un décor : des éléments à part entière de cette histoire, tout comme les maisons qui recèlent souvenirs et secrets qui façonnent l’existence de ceux qui y vivent. Caleb, Harry : deux solitudes, deux histoires. Un homme seul qui porte sur ses épaules un héritage sans doute trop lourd pour lui. Un homme seul et perdu face à la grande affaire de sa vie : l’écriture et elle seule, dépouillée des artifices qui l’ont éloigné de sa vérité.
Deux enjeux existentiels qui vont trouver leur dénouement dans une intrigue qui plonge ses racines dans l’histoire même des protagonistes, où le « twist » final joue à la fois sur l’enjeu littéraire et le jeu avec le lecteur. L’homme peuplé est un beau roman de maturité, où l’auteur n’hésite pas à se dévoiler – un peu – et à confier son amour éperdu pour la littérature.
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L’homme peuplé de Franck Bouysse
Albin Michel, août 2022
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