[dropcap]Q[/dropcap]uand Gaëlle Nohant a annoncé la parution de son nouveau roman, La femme révélée, aux éditions Grasset, en cette fin d’année 2019, j’avoue que mon cœur a bondi de joie dans ma poitrine. J’ai alors ressenti une certaine impatience à l’idée de plonger à nouveau dans son écriture fine et romanesque, peuplée de personnages entiers, vibrants, traversant des époques que j’aurais aimé vivre, habiter dans ce Paris révolu, lieu de tous les possibles.
J’ai découvert cette auteure lors de la Fête du livre à Saint-Etienne en 2017, une conférence passionnante sur la thématique Laissez passer les poètes, aux côtés de Lionel Bourg, Pierre Souchon et Sigolène Vinson, autre révélation chère à mon cœur. Je me revois prendre des notes, buvant les mots de chaque invité jusqu’à ce que Gaëlle Nohant nous parle de son amour pour Robert Desnos (Légende d’un dormeur éveillé), un homme dont la vie et l’œuvre semblent indissociables : poète, chroniqueur, amoureux de la vie, de la joie… mais aussi engagé, résistant, défenseur de la liberté, de l’amour, de la beauté, qui a connu un funeste destin… un roman merveilleux qui m’a ému aux larmes, et c’est plutôt rare pour être souligné. Je m’égare, mais pas tant que ça, car la force des romans de Gaëlle Nohant, c’est aussi cela, nous emporter, le temps de quelques pages, dans le tumulte de la vie, dans toutes ses aspérités.
La quête de liberté de l’exilé volontaire est inséparable de sa nostalgie de la terre natale. Plus ou moins enfoui dans l’inconscient, cet écartèlement dure toute la vie. Susha Guppy, A Girl in Paris.
Le roman de Gaëlle Nohant débute sur cette citation de Susha Guppy. Une citation qui semble contenir à elle seule toute la souffrance que connaît Eliza Donnelley, qui a quitté précipitamment Chicago, son mari fortuné et surtout son petit garçon, Tim. Dès les premières pages, nous la retrouvons dans un hôtel de passe parisien, sous le nom de Violet Lee, avec pour seuls bagages, son précieux Rolleiflex, une photo de son fils et quelques bijoux pour l’aider à survivre un temps. Quelles sont les raisons qui l’ont poussé à s’enfuir, loin de son enfant, de sa mère, de sa vie bien rangée ?
L’intrigue est posée, et les raisons de ce revirement soudain s’égrènent au fil des pages. Un roman construit en deux parties, la première prenant une place importante : nous sommes à Paris, en 1950, Eliza devient Violet, on comprend qu’elle s’est procurée de faux papiers pour se cacher, fuyant un danger qui semble la hanter. Mais Eliza n’est pas femme à se laisser abattre. Elle se lie d’amitié assez vite avec Rosa, une prostituée, qui la sort de cet hôtel minable pour la conduire dans une pension de jeunes filles dans le quartier latin, l’ancien couvent des Feuillantines, le début d’une nouvelle vie.
À ce stade, je n’ai pas envie de vous dévoiler le destin exceptionnel de Violet, mais vous invite à le découvrir au creux des pages. Ses amitiés, qui finissent souvent dans un club de jazz, comme le Tabou, lieu mythique indissociable de Boris Vian, Miles Davis, Juliette Gréco… la bande-son d’une époque et d’une certaine liberté. Ses amours, Sam Brennan, un Américain rencontré en soirée, mais aussi un pianiste de jazz noir, Horatio Price. Son travail de nounou au sein d’une famille parisienne, son rapport fusionnel à la photo, qui lui donnera un statut d’artiste… une femme qui se révèle petit à petit, qui prend son envol, sans jamais oublier son fils, Tim.
Et en trame de fond, Chicago, sa vie d’avant, de bonne épouse, mariée à un riche entrepreneur, Adam, un homme qui profite de la misère des noirs et de ce climat de ségrégation malsain. Eliza qui a grandi avec un père libéral, engagé, s’est laissée happer dans une vie qui n’était pas faite pour elle, qui l’a contrainte à fuir, témoin, malgré elle, des méfaits de son époux.
Toute cette haine, dit-il. Toute cette haine, cette misère et cet amour. C’est un miracle qu’ils ne fassent pas exploser l’avenue. James Baldwin, Blues pour Sonny.
Dans la seconde partie du roman, Violet regagne enfin Chicago, au bout de vingt ans. Adam est décédé, j’ai envie de dire enfin, mais peut-être serez-vous enclin à penser la même chose à ce stade de l’intrigue. Nous l’accompagnons dans sa quête du fils, Tim, un homme aujourd’hui, et quel homme, engagé, faisant parti du mouvement Mobe ou Comité de mobilisation nationale contre la guerre du Vietnam, prônant la désobéissance civile.
Nous sommes en 1968. Martin Luther King vient de décéder, les droits civiques des noirs sont au cœur des combats aux Etats-Unis, des émeutes éclatent à Chicago… et en août la convention nationale des démocrates exacerbe un peu plus le débat. Violet, armée d’un Leica, se fait engager en tant que journaliste photographe, se rapprochant ainsi au plus près de son fils… la boucle est bouclée mais je n’en dirai pas plus.
Un roman qui nous fait voyager dans le Paris des années 50 libéré, lieu de tous les possibles, tandis qu’aux Etats-Unis, la vie semble étouffante, étriquée pour les âmes libres comme celle d’Eliza Donnelley. Une fracture nécessaire pour enfin trouver sa voie, rebondir, et être la femme qu’elle était destinée à devenir, émancipée et engagée. La douleur aussi d’une mère qui a dû renoncer à ce qu’elle avait de plus cher, son fils.
Gaëlle Nohant nous livre ici une véritable fresque historique et romanesque, au cœur de laquelle le destin d’une femme se mêle à tout un pan de l’histoire du vingtième siècle. J’ai adoré suivre le parcours d’Eliza, c’est une héroïne attachante et sensible que l’on peine à quitter, on aimerait que l’histoire ne s’arrête jamais… je vous conseille de plonger au plus vite dans ce merveilleux roman en écoutant la playlist qui l’accompagne, c’est encore plus savoureux !
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La Femme Révélée
de Gaëlle Nohant
Éditions Grasset, le 02 janvier 2020
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Image bandeau : Couvent des Feuillantines, Paris 5ème, Eugène Atget.