[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C’[/mks_dropcap]est une aventure totalement absconse que le label Bordelais Bam Balam Records nous propose là. Un voyage aux confins de l’aride ainsi qu’aux limites du tortueux.
Pour les adeptes de raccourcis, il suffirait de dire que Gakusei Jikken Shitsu s’est lancé dans un crash entre le Free Jazz le plus virulent et l’électronique d’un Autechre qui en aurait même oublié de mettre des balises.
Pourtant, la complexité de ce disque amène à pousser la réflexion au-delà. Trio japonais, le groupe est composé de la saxophoniste Ryoko Ono, dont l’univers Free n’est pas plus à développer, de Hiroki Ono aux mouvements électroniques, et de Yuko Oshima à la batterie.
Dès les premières secondes, le disque vous arrache au monde, vous attrape par la gorge et vous secoue dans tous les sens. On n’entre pas ici comme on entre dans un magasin de porcelaine, à moins que ce ne soit pour tout y faire dégringoler. Car tout dégringole. Le saxophone Free feule tel une horde de chats aux griffes acérées, et les sons électroniques totalement déconstruits pleuvent aussitôt. C’est l’escalade permanente, et aucun répit ne vous est accordé.
Totalement Free et agressif, le disque n’en reste pas moins particulièrement cohérent, et l’on se surprend même à se laisser happer par une rythmique moins chaotique et presque Funk, sur la seconde moitié du disque. Certes, le va et vient permanent des vagues électroniques donne un peu la sensation d’être sans cesse saisi de tout votre corps pour vous faire tourner sur vous-même et vous donner le tournis, mais cette structure vous raccrochant à une certaine réalité vous offre la possibilité de souffler un instant. Car les instants de souffle sont permanents, mais il s’agit là d’un manque de souffle pour un disque oppressant et cathartique à la fois, tant il est taillé pour vous offrir la joie d’expulser le moindre recoin de silence perturbateur.
Si les disques de Bam Balam Records sont habituellement plus ancrés dans le psychédélisme, celui de Gakusei Jikken Shitsu est un paysage accidenté dans horizon, sauf dans ses rares moments apaisés, où l’on croise un Coltrane sous acide, à la fin d’un album particulièrement affranchi de référence.
La puissance du jeu de Ryoko Ono s’avère tout à fait impressionnante et intense. Elle ne laisse rien au hasard, mais ne laisse pas non plus l’occasion au doute de s’installer, les notes se chevauchent presque tant elle fait preuve d’une vélocité hors norme, tout en s’appuyant sur une rythmique pourtant particulièrement abstraite. Qui peut à ce point retomber sur ses notes en se basant sur un tel mélange d’électroniques saccadés et concassés et de batterie Free et pleine de rupture ?
La somptueuse pochette de l’album invite aux songes et aux voyages intérieurs, mais la musique du trio invite à la course folle vers la chute. Alors que l’on pense que les formes plus extrêmes sont atteintes, une voix aux réminiscences Fluxus jaillit de nulle part et hurle à corps perdu que le beau se cache parfois derrière la folie et les turbulences. Il faut alors attendre la toute fin du disque pour enfin apercevoir un peu d’apaisement tendu qui peut même laisser craindre que tout s’écroule à nouveau.
Un disque qui remue, qui laisse abasourdi et incrédule face à une fureur qui vient de vous griffonner le visage et les tympans.
Gakusei Jikken Shitsu, Hekizan, depuis janvier 2017 chez Bam Balam Records.