[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]S[/mks_dropcap]ouvenez vous il y a un an, presque jour pour jour, je prenais du peyotl et vous narrait le périple entrepris par un producteur pour enregistrer quelques autochtones chanter sur leurs instruments inventés avec trois bouts de ficelles en direct live du fin fond de l’Amazonie du Sud côté Oriental (souvenez-vous, c’était ici). Quelque chose de ce goût là dira-t-on. Je vous narrais également le fait que tout cela était fait à l’arrache, avec peu de moyens, qu’à côté le Spiderland de Slint était une symphonie wagnérienne dévastant tout sur son passage. Sachez que Glitterbeat , label qui avait sorti le Hanoi Master remet ça. Il reprend le même principe, à savoir rendez-vous en terre inconnue appliqué à la musique, change le protagoniste et sort un disque fait avec des instruments oubliés ou en voie de l’être. Paul Chandler, éducateur et producteur, vient donc remplacer au pied levé Ian Brennan, le Vietnam translate de l’Est vers L’Ouest, investit le continent Africain et se fait appeler Mali, mais l’esprit reste le même : faire découvrir au monde ébahi les trésors de beauté atemporelles que recèlent ces pays.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]e Mali, comme chacun sait, possède un vivier impressionnant de musiciens connus et reconnus mondialement, autant dans le Blues (Ali Farka Touré, Boubacar Traoré, Lobi Traoré) que la musique Mandingue (Djelimady Tounkara, Kasse Mady Diabaté ou encore Toumani Diabaté) ou la Variété classieuse (Rokia Traoré, Salif Keita). Pourtant, au niveau local, c’est autre chose : l’aspect rituel, cérémonial de cette musique a de plus en plus tendance à se raréfier. Pendant plusieurs années, Chandler s’est donc immergé dans cette culture malienne, a infiltré les contrées les plus reculées avec ses assistants (un ingé-son et un vidéaste) pour recueillir le témoignage de musiciens locaux, enregistrer un pan de culture prêt à être rayé de la carte faute d’exposition et remettre en lumière certains instruments traditionnels. Intention fort louable.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap] l’écoute, le résultat ferait passer le Hanoi Master pour de la variétoche italo-disco tant c’est roots et brut de décoffrage. Je sais, ce n’est pas très vendeur comme approche mais ne nous voilons pas la face : ceux pour qui la world se doit d’être une musique colorée, festive et inoffensive vont pouvoir rebrousser chemin car entrer dans ce disque risque de leur causer un choc émotionnel intense. Outre une hémorragie auriculaire certaine (sur Houmeïssa ou Kabako notamment), Every Song Has Its End poursuit la politique commencée par Hanoi Master, à savoir s’approcher le plus de l’authenticité quitte à flirter avec l’expérimental.
De par les instruments utilisés (Calabash -percussion en forme de gourde-,Balafon, Tehardent -lute africaine-, Simbi, Bolon, etc…) ou encore les styles abordés (la plupart en lien avec la possession, la célébration – religieuse ou non-), Every Song Has Its End fait honneur à la seconde partie de son intitulé, à savoir Sonic Dispatches From Traditionnal Mali. Parce que oui, c’est en cela que le second volume des Hidden Musics risque de faire fuir n’importe quel amateur de world : l’aspect « sonic » expérimental, répétitif prime sur la douce mélodie. Évidemment il y a des chansons plus abordables (N’Djaba ou Woyika, tous deux très beaux) mais la plupart des morceaux de cette compilation se foutent royalement de ce qu’est une mélodie et préfèrent amener l’auditeur sur le terrain de la spiritualité, de la transe.
Ce qui fait qu’on se retrouve dans un état d’esprit plus proche des artistes expérimentaux dont nous parle régulièrement Esther en ces lieux ou des punks de The Ex quand ils fricotent avec Konono N°1, que de n’importe quel artiste Africain évoqué plus haut. Pour preuve les 9 minutes de Houmeïssa qui, de par ses sonorités métalliques, issues du Kurbu électrique, et son rythme tribal, deviennent fascinantes à force de répétition mais ne conviendront pas à toutes les oreilles délicates. Idem pour Kabako et son Bambara Balafon qui reste dans les mêmes tonalités que Houmeïssa, véritable appel à la possession. Mais le clou de cette compilation reste l’impressionnant Apolo et cette façon d’amener dans la première minute tous les éléments qui vous feront ensuite basculer dans le shamanisme : ces percussions infernales, désorganisées en premier lieu puis répétitives, montant crescendo, cette fusion instinctive entre Roots et Nyahbinghi, tout dans ce morceau envoûte et concourt à vous élever spirituellement.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]V[/mks_dropcap]ous me direz, acheter un disque pour trois ou quatre morceaux c’est un peu léger comme argument ; je vous répliquerai que le reste est du même tonneau et que, malgré l’aspect disparate de ces vignettes musicales, Every Song parvient à trouver un équilibre assez étonnant sans être rebutant, entre mysticisme, tradition, transe et lo-fi, douceur et âpreté. Après, c’est comme dans les différentes musiques expérimentales, il faut juste être dans les conditions adéquates pour bien les recevoir et les apprécier.
Sorti depuis le 1er avril chez Glitterbeat Records dans tous les formats possibles et disponible chez tous les disquaires penseurs de France.