[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]B[/mks_dropcap]ientôt les Sefshkenazes débarquent au Festival d’Avignon et sur Addict-Culture.
Peut-être vous demandez-vous qui sont les Sefshkenazes ?
Un peu de patience. Vous en saurez bientôt beaucoup plus sur eux puisque deux de nos chroniqueurs, Abz Zuckerman et David Nathanson (qui est aussi comédien), les accueillent cette année dans le petit 2 pièces cuisine qu’ils louent à Avignon pendant le Festival (du 7 au 30 juillet) et retranscriront leur journal de bord quotidien.
Mais avant de vous présenter les Sefshkenazes, il nous a paru judicieux de vous faire connaître nos deux journalistes émérites.
Abz est ainsi allée à la rencontre de David qui jouera, dès le 7 Juillet prochain deux spectacles à Avignon : D’autres vies que la mienne (d’après le livre d’Emmanuel Carrère) au Théâtre du Centre et Le Nazi et le Barbier (d’après le livre d’Edgar Hilsenrath) à l’Espace Roseau. Elle a voulu savoir comment le comédien se préparait à jouer deux seuls en scène par jour pendant un mois. L’occasion pour elle de découvrir cet exercice si particulier de L’INTERVIEW !
Toute interview est un match. L’intervieweur l’aborde toujours en position d’infériorité parce qu’il est le demandeur. Pour que le match soit amical, l’interlocuteur doit être approché en douceur. La prise de contact par écrit est plus rassurante que la prise de contact par téléphone. Il est capital de convaincre son interlocuteur que son témoignage sera précieux et de lui garantir que, bien entendu, aucun de ses propos ne sera publié sans son autorisation. Si tu interviewes Jules César dans le but de le faire réagir à tes découvertes sur le financement de ses expéditions militaires tu cherches d’abord à l’amadouer. Tu mets en avant le fait que, en l’interviewant, tu lui offres la possibilité de répondre aux calomnies répandues à Rome à propos de ses méthodes …
Oui, mais là, il s’agit de David Nathanson, tu sais, et du festival d’Avignon, tu penses vraiment qu’il a financé ses spectacles avec les impôts prélevés en Gaule ? Tu sais si tu commences comme ça, tu ne vas pas aller bien loin, il existe des techniques d’interviews bien rodées, tu dois choisir le bon endroit, le bon ton, les bonnes questions, tu dois donner envie au lecteur d’aller voir David jouer ses deux pièces, il joue du 7 au 30 Juillet à l’Espace Roseau Le nazi et le barbier d’après le roman de Edgar Hilsenrath. Il la joue depuis trois années, cela signifie sans doute quelque chose, et il joue aussi D’autres vies que la mienne d’après Emmanuel Carrère, pour la seconde fois, c’est peut être un détail mais en numérologie, ça a sans doute un sens. Oui, mais je ne suis pas journaliste, moi, je peux écrire des articles médicaux si je veux, je peux aussi tenter de le psychanalyser sauvagement, mais… fais comme tu le sens, fais confiance à ton feeling…
C’est donc armée de mon seul odorat que j’ai abordé David Nathanson, après lui avoir écrit un mail doux et rassurant, pour le mettre en confiance : « JE DOIS T’INTERVIEWER IMMÉDIATEMENT. Tu seras sympa de répondre assez vite. Parce que j’ai un vrai travail, moi »
Nous nous sommes retrouvés une heure plus tard , dans un petit café où, apparemment, il a ses habitudes, puisque toutes les serveuses lui disent « Bonjour David, hihihihi, la même chose que d’habitude ? » J’ai voulu immédiatement montrer à mon interlocuteur que j’avais un formidable esprit de déduction, et je lui ai demandé tout de go s’il avait ses habitudes ici.
Oui dit-il Et il ajoute qu’il n’est pas mécontent de tomber enfin sur une professionnelle qui pose des questions directes.
Peut-être avez vous besoin de repères fixes, peut-être avez vous besoin de… sécurité ? Lorsqu’on est comédien et qu’on ne sait pas de quoi demain sera fait, si on mangera, et ce qu’on mangera, s’il pleuvra sur notre hutte, s’il fera soleil sur notre misère, peut être, je dis bien peut être , on a besoin d’un cadre sécurisant et fixe pour pallier le chaos potentiel ultérieur ?
C’est bien possible dit-il en se reculant un peu sur son siège, mais c’est surtout qu’ils font un formidable chocolat chaud ici.
Je ne suis pas votre ennemie. L’intervieweur et l’interviewé, c’est un match, mais ce n’est pas forcément un match de boxe.
C’est gentil de me dire ça, répond-il , parce que je ne suis jamais très à l’aise en interview.
Vous avez une voix de basse assez étonnante, une voix qui porte, une voix nickcavienne. Est ce que c’est cela qui a motivé votre carrière de comédien, où est ce votre carrière de comédien qui a provoqué un épaississement du larynx ?
David Nathanson ne répond pas vite quand il boit un formidable chocolat. Il observe les volutes blanches qui s’élèvent de la tasse, fait tinter sa cuillère contre le grès, et rétorque, en pesant chaque mot :
C’est tout le mystère de l’œuf et de la poule, ça.
Vous avez étudié pour devenir comédien ? Vous êtes plutôt Actor’s studio comme James Dean, cours Florent comme Gérard Philipe, ou plus école de la vie comme Xavier Dolan ? Ne trouvez vous pas complètement fou que je vienne de citer trois acteurs homosexuels ? Pensez vous que je doive m’interroger là-dessus ?
Je dois dire que la sexualité des comédiens m’importe guère. Et si vous voulez me parler de la vôtre alors sachez que je prends 70 euros de l’heure. Savez-vous, par ailleurs que Paul Préboist est mort puceau ce qui ne l’a pas empêché de mener une longue et belle carrière à l’inverse de Warren Beatty, plus connu pour son long et beau sexe que pour sa virginité. Emmanuel Kant fait aussi partie des puceaux célèbres. Doit-on pour autant considérer qu’il eut fait un bon acteur homosexuel, je n’en sais rien. Ce qui est sûr – et pour en revenir à votre question – c’est que le théâtre m’a fortement aidé dans ma sexualité. Jouer un nazi sur scène a sans doute réveillé chez moi un potentiel encore mal exploité et s’il faut remercier Adolf de quelque chose, c’est bien de la charge érotique et fantasmatique qu’offre le modèle de société qu’il a tenté de mettre en place.
Vous allez cette année jouer deux pièces au Festival d’Avignon , le Nazi et le Barbier qu’on ne présente plus, qui raconte l’histoire d’un nazi méchant et d’un barbier gentil…
Pas du tout, s’écrie-t-il.
Il repose sa tasse avec un peu de force, visiblement ébranlé. D’autant qu’un peu de chocolat coule sur son t.shirt.
Voyez -vous, il s’agit de la même personne en réalité. C’est tout le propos d’Hilsenrath justement de nous montrer que les poncifs sur la cruauté sont un peu faciles. Le nazi est nazi, c’est vrai et il est tout à fait honnête dans son nazisme, mais quand il devient barbier, il est aussi honnête je vous assure. La cruauté, c’est une disposition d’esprit, et le passage à l’acte, c’est un concours de circonstances. Il en est de même pour la bonté.
David Nathanson lève les bras pour dessiner des guillemets sur bonté. De toute évidence, ce comédien fait de la musculation.
C’est une technique d’ intervieweur… C’était uniquement pour voir si vous aviez lu le livre. Devant son regard un peu interloqué, j’ ajoute : Mais oui, il y a beaucoup de comédiens qui jouent et qui ne comprennent pas ce qu’ils jouent. Désolée, c’est pas joli joli je le concède, mais c’est le métier, que voulez-vous.
Vous m’avez bien eu, dit-il dans un grand éclat de rire. Vous êtes bluffante de vérité. Sans doute avez-vous été une sorte de Sarah Bernhardt dans une autre vie. J’en conclus donc que vous avez parfaitement compris cette fausse dichotomie qui semble séparer les personnages de mon spectacle. Savez-vous, à ce propos qu’Emmanuel Kant a dit : « La passion amoureuse ou un haut degré d’ambition ont chanté des gens raisonnables en fous qui déraisonnent », ce qui s’applique assez nettement à Max Schulz, le personnage de mon spectacle, et à son amour pour le nazisme.
Vous allez jouer dans le même temps, juste avant, un autre seul en scène, une adaptation du roman d’Emmanuel Carrère, D’autres vies que la mienne, une histoire bouleversante. Comme à son habitude, Carrère, entre anecdotes relatives à sa vie privée et progression générale du récit, raconte à la fois le tsunami, le deuil, le cancer et le combat de deux juges contre les organismes de crédit.
Oui, vous avez lu ce livre, on dirait, dit-il l’air manifestement soulagé.
Vous jouez du ukulélé dans cette pièce, et vous chantez. Ce n’est pas dans le livre. Pourquoi ? Auriez-vous préfère être chanteur et musicien plutôt que comédien ? Souffrez vous du syndrome Emmanuelle Seignet ?
Je suppose que vous voulez parler d’Emmanuelle Seigner ?
Non non, je parle bien d’Emmanuelle Seignet !
Je ne la connais pas, mais je la rencontrerais avec grand plaisir si vous souhaitez me la présenter.
N’essayez pas de noyer le poisson et répondez plutôt à ma question.
Du calme, du calme, pourquoi cette agressivité soudaine, je vais répondre… (à ce moment de l’interview, David Nathanson prend une longue pause et penche la tête comme pour chercher l’inspiration dans le marc de son chocolat)… Eh bien je dirais… oui sans doute, j’aurais aimé être chanteur, parce que la musique, vous comprenez, la musique, c’est indéfinissable, et cela dit tellement de choses… C’est d’ailleurs Emmanuel Kant, si je ne m’abuse, qui a dit : « La musique est la langue des émotions ». Enfin il l’a dit en allemand, mais ça ne change pas fondamentalement la charge prophétique de cette citation.
Vous allez jouer ces deux pièces, le même jour et ce, pendant une période de 24 jours. Une question me brûle les lèvres , une seule : vos costumes ont-ils le temps de sécher ?
Il y a des sèche linge à Avignon, répond David Nathanson en regardant dehors. Et puis nous ne sommes pas à Béziers. A Avignon, on a encore le droit de faire sécher le linge aux fenêtres.
Vous pensez que c’est quelque chose de très fatiguant ?
De mettre son sèche linge, en route, non , je ne crois pas.
Il a l’air soudain pourtant bien las.
De jouer deux pièces, le même jour, sur une période de 24 jours. Vous ne craignez pas de lasser le spectateur ? Je veux dire bien sûr, hein, ce ne sont pas les mêmes spectateurs tous les jours, hein, je suis au courant, mais vous savez ce que c’est dans une petite ville, un festival, le spoiling ….
Comme je dis toujours le spectateur est roi, vous savez. Pour autant je ne crois pas beaucoup à cette idée qu’il pourrait spoiler la fin de mes spectacles. Pour la simple et bonne raison que le spectateur avignonnais prévoit généralement de voir 8 ou 9 spectacles dans la journée et qu’il n’a donc absolument pas le temps de rester jusqu’à la fin des pièces. Fin des pièces qu’il est donc dans l’incapacité totale de révéler. Ne croyez pas que la vie de festivalier est un long fleuve tranquille.
Est-ce que vous pensez que c’est plus fatigant, par exemple, de faire les trois huit, ou bien d’enchaîner un job de chauffeur livreur le jour et de veilleur de nuit, la nuit OU de jouer deux pièces à la suite, sur une période de 24 jours ?
Je me définis souvent comme un ouvrier du théâtre. Les trois huit ne me font pas peur. Ni le grand huit d’ailleurs. Ce qui me fait peur, ce serait plutôt ce huit couché, vous savez celui qu’on utilise pour symboliser l’infini. Très honnêtement je ne me vois pas jouer deux pièces par jour indéfiniment. Je crois que je me lasserai. Maintenant si le public me le demande… Je ne suis d’ailleurs pas loin de faire mienne cette citation d’Emmanuel Kant qui dit : « L’autonomie de la volonté est le principe unique de toutes les lois morales et des devoirs qui y sont conformes ».
J’ai une dernière question, David, ne m’en veuillez pas de vous la poser, mais elle compte beaucoup pour moi. Le financement de vos spectacles a-t-il, de près ou de loin, un rapport quelconque avec les impôts prélevés en Gaule ?
Plutôt avec l’Helvétie, mais je compte sur vous pour garder ça secret.
De votre journaliste d’investigation Abz Zuckerman, en direct du Chocolat Formidable, Paris.
Pour découvrir David Nathanson dans ces deux pièces seul en scène :
Compagnie Les Ailes de Clarence
Espace Roseau pour le Nazi et le Barbier à 19h05
Théâtre du Centre pour D’autres vies que la mienne à 12h
Ces gens sentent bon, j’en suis certain.
J’adore j’adore j’adore … et comme l’écrivait Emmanuel Kant “Une lecture amusante est aussi utile à la santé que l’exercice du corps” et c’est complètement en adéquation avec cette interview.
Toutefois il a aussi écrit “Si tu te fais ver de terre, ne te surprend pas si on t’écrase avec le pied” mais ça n’a rien à voir avec l’interview bien que je puisse affirmer ici que David Nathanson a le pied très beau comme tous ses organes d’ailleurs mais James Dean n’était pas homosexuel.
Voilà
ET ça ne s’arrête pas là !! La suite est ici : http://addict-culture.com/?s=sefshkenaze